Par Clément Bigot, juriste et auteur – Eurasia Business News, 28 novembre 2018 – Mise à jour le 1er août 2019.

Esplanade de La Défense - Quartier des affaires de Paris - Août 2019 Crédits photo Swann Bigot

Esplanade de La Défense, Puteaux, Août 2019 – Crédits photo  : S.B.

Les actes d’espionnage économique menés contre les entreprises françaises sont courants, coûteux financièrement et entravent l’innovation et la concurrence loyale sur les marchés européen et international. 

À l’ère du numérique, le cyberespionnage ciblant les secrets commerciaux et industriels des entreprises accroît considérablement la menace portée par l’espionnage économique traditionnel. Les entreprises sont trop souvent mal protégées contre cette menace. Dans un contexte de compétition économique globale, un renforcement des dispositifs législatifs de protection était nécessaire en France, même si la coopération internationale reste peu inefficace en la matière. 

Quel est l’état du droit positif ?

En France, le droit pénal permet la répression de l’espionnage économique « étranger », sur le fondement des articles 411-6 à 411-8 du Code pénal, qui punissent la tentative, le recueil et la livraison de renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers à une puissance étrangère, une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou de leurs agents, lorsque l’exploitation, la divulgation ou la réunion de ces informations est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, définis à l’article 410-1 du Code pénal. Ces intérêts fondamentaux de la nation couvrent « les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique ».

Par ailleurs, la répression de l’espionnage économique « interne » peut se fonder sur les infractions telles que le vol (article 311-1 du Code pénal), l’espionnage informatique (article 323-3 du Code pénal), l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal), l’atteinte aux droits de la propriété intellectuelle (article L 521-10 du Code de la propriété intellectuelle) ou même la violation du secret des correspondances (article 226-15 du Code pénal). Ces textes constituent des fondements à l’action pénale contre des faits d’espionnage économique « interne ».

Mais au-delà de ce volet pénal, un régime de responsabilité civile de l’espionnage économique a été créé par la loi n° 2018-670 relative à la protection du secret des affaires. Cette proposition de loi déposée le 19 février 2018 a été définitivement adoptée le 14 juin par l’Assemblée nationale et le 21 juin par le Sénat. Elle transpose en droit français la directive 2016/943/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.

Cette directive (UE) 2016/943 a pour objectif de fournir un niveau de protection uniforme pour les secrets d’affaires des entreprises au sein de l’Union européenne contre l’espionnage en matière industrielle et commerciale.

Cette nouvelle notion de secret des affaires permet aux entreprises de voir protéger par la loi des informations sensibles qui échappent au régime de protection de la propriété intellectuelle (régime protégeant les brevets, dessins et modèles, droits d’auteur) mais qui présentent une valeur commerciale et stratégique certaine.

La directive (UE) 2016/943 mentionne également le régime de protection adopté dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, formalisé par l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord ADPIC),  reproduit à l’Annexe 1 C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé le 15 avril 1994.

Il apparaît  notamment que l’article 39 de l’Accord ADPIC portant sur la « protection des renseignements non divulgués » a directement inspiré le législateur dans la rédaction de l’article L 151-1 introduit dans le Code de commerce par la loi n° 2018-670 relative à la protection du secret des affaires.

La loi n° 2018-670 relative à la protection du secret des affaires a été validée par le Conseil Constitutionnel dans une décision n° 2018-768 DC du 26 juillet, promulguée le 30 juillet par le Président de la République et parue au Journal officiel n° 174 du 31 juillet 2018. Un décret en Conseil d’Etat fixant les conditions d’application de la loi a été publié le 11 décembre 2018.

Cette dynamique législative nationale et européenne s’inscrit dans un contexte de guerre économique à l’international, où les services de renseignement et les entreprises de l’étranger n’hésitent pas à espionner les entreprises françaises pour dérober leurs secrets commerciaux et industriels (voir l’affaire Edward Snowden, les accusations d’espionnage visant la Chine ou encore la note de la DGSI sur les ingérences économiques américaines en France, révélée par le Figaro début novembre).

Face à cette réalité, comment les entreprises françaises peuvent-elles se protéger et réagir ? Quels recours légaux peuvent être utilisés contre l’espionnage économique ? La législation française a récemment consacré un nouveau régime de protection, mobilisant notamment la responsabilité civile de l’auteur de l’atteinte illicite à l’information protégée, constitutive d’un « secret des affaires ».

L’acte d’espionnage économique

L’espionnage économique est un acte illicite entraînant la responsabilité pénale et civile de son ou ses auteur(s).

Un régime de responsabilité civile a été posé par la nouvelle loi n° 2018-670 relative à la protection du secret des affaires promulguée le 30 juillet 2018, afin de protéger les informations non couvertes par les droits de propriété intellectuelle. L’espionnage appréhendé par cette loi couvre la notion d’atteinte illicite au secret des affaires.

Un entreprise victime d’une telle atteinte illicite pourra désormais demander devant le juge, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, la prévention ou la cessation de l’atteinte illicite au secret des affaires l’interdiction de l’utilisation économique ou commerciale du secret obtenu illicitement et la destruction totale ou partielle de tout support contenant le secret des affaires concerné.

Quelle information est protégée ?

Créé par l’article 1er de la nouvelle loi, l’article L 151-1 du Code de commerce prévoit qu’est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux trois critères suivants :

(1) elle ne doit pas être généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

(2) elle doit revêtir une valeur commerciale du fait de son caractère secret ;

(3) elle doit faire l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables pour en protéger le secret.

Ce régime définissant largement l’information qui est protégée nécessite que les entreprises adoptent des stratégies de protection du secret des informations présentant une valeur commerciale. Ces informations devront aussi être formalisées. Les entreprises auront à modifier, le cas échéant, les clauses de confidentialité de leurs salariés ou d’intervenants tiers s’agissant de ces informations protégées.

Notez ici que la notion de « détenteur légitime » est large et permet une interprétation dépassant l’idée de simple « propriété de l’information ».

Quel détenteur légitime du secret des affaires ?

L’article L 151-2 du Code de commerce introduit par la loi du 30 juillet 2018 précise que « Est détenteur légitime d’un secret des affaires celui qui en a le contrôle de façon licite. »

Un détenteur légitime d’une information secrète pourra donc être une personne salariée et autorisée au sein de l’entreprise à y avoir accès et à la contrôler. Il pourra aussi s’agir du représentant d’une entreprise tierce ou un intervenant indépendant, liés par un contrat de partenariat sur un projet déterminé et autorisés à l’accès à et au contrôle de cette information secrète.

L’obtention licite d’un secret des affaires 

La faculté d’obtenir licitement un secret des affaires est préservée par l’article L 151-3 du Code de commerce, qui dispose que :

« Constituent des modes d’obtention licite d’un secret des affaires : 

1° Une découverte ou une création indépendante

L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret. »

La définition de l’espionnage économique 

L’espionnage économique appréhendé par cette loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 est défini comme étant l’acquisition illicite d’informations secrètes et protégées permettant d’obtenir un avantage de nature commerciale.

Les faits constituant un espionnage économique sont précisément définis aux articles L 151-4 à L 151-6 du Code de commerce, introduits par cette nouvelle loi.

Article L 151-4 du Code de commerce

« L’obtention d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte :

1° D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;

2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale. »

En application de cet article L 151-4, les entreprises devront donc mettre en place des programmes internes sécurisant l’accès et le traitement des informations protégées, afin de prouver facilement l’obtention illicite en cas d’action civile de l’entreprise contre l’auteur de l’atteinte. Le deuxième alinéa élargit la définition de l’obtention illicite, afin de maximiser la protection de l’information.

Article L 151-5 du Code de commerce

« L’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées à l’article L. 151-4 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.

La production, l’offre ou la mise sur le marché, de même que l’importation, l’exportation ou le stockage à ces fins de tout produit résultant de manière significative d’une atteinte au secret des affaires sont également considérés comme une utilisation illicite lorsque la personne qui exerce ces activités savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret était utilisé de façon illicite au sens du premier alinéa du présent article. »

Il est intéressant de relever ici que l’illicéité s’étend aux produits résultant de manière significative d’une atteinte au secret des affaires, lorsque la personne les fabricant, les offrant, les introduisant sur le marché, les important, les exportant ou les stockant était au courant ou aurait dû savoir que l’utilisation de ce secret était illicite. Le caractère illicite couvre tant l’obtention de l’information que son utilisation sous toutes ses formes, afin de dissuader au maximum l’espionnage économique.

Reste à savoir comment prouver que la personne aurait dû savoir que l’utilisation du secret était illicite. Un secret des affaires obtenu illicitement en Slovaquie peut être utilisé en Espagne.

Dans quelles conditions l’utilisateur basé en Espagne serait soumis à une obligation de diligence sur l’origine de ce secret des affaires ? L’origine ne peut-elle être pas dissimulée facilement ? Il s’agit ici d’un point important que la pratique viendra éclaircir.

Article L 151-6 du Code de commerce

« L’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du premier alinéa de l’article L. 151-5. »

Le tiers obtenant, utilisant ou divulguant une information relevant du secret des affaires qui a déjà été obtenue illicitement peut donc voir sa responsabilité civile mise en œuvre en droit français s’il savait ou aurait dû savoir l’origine illicite de l’information protégée par le secret des affaires. L’article consacre donc une protection élargie, s’étendant jusqu’aux tiers.

Là encore, le sens de la mention « au regard des circonstances » n’est pas évident et un éclaircissement sur les conditions de l’obligation de diligence du tiers sur l’origine de ce secret des affaires est attendu.

Les exceptions à la protection du secret des affaires

Les articles L 151-7 à L 151-9 du Code de commerce mentionnent les exceptions à la protection du secret des affaires, couvrant les situations telles que  l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives conformément au droit de l’Union européenne, des traités ou accords internationaux en vigueur ou du droit national.

Les journalistes sont également protégés dans l’exercice de leur  droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La protection du secret des affaires n’est pas opposable aux lanceurs d’alerte lorsqu’ils agissent dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, afin de révéler une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. L’enjeu pour le lanceur d’alerte sera de parvenir à prouver sa bonne foi.

Le secret des affaires n’est pas non plus opposable lorsqu’est en jeu la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. On peut comprendre cette notion d’intérêt légitime comme étant la protection de l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique.

Enfin, le secret des affaires n’est pas opposable aux salariés et à leurs représentants lorsque son obtention est intervenue dans le cadre de l’exercice de leur droit à l’information et à la consultation et dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice. L’information ainsi obtenue ou divulguée demeure protégée à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants qui en ont eu connaissance.

L’engagement de la responsabilité civile 

L’auteur d’une atteinte illicite au secret des affaires prévue dans les articles précités engage sa responsabilité civile en application de l’article L 152-1 du Code de commerce issu de la loi du 30 juillet 2018.

Toute action en justice contre une telle atteinte est prescrite par cinq ans à compter des faits qui en sont la cause, en vertu de l’article L 152-2 dudit Code.

L’engagement de la responsabilité civile sera possible après la réunion des trois éléments suivants :

Un fait illicite : L’acte d’espionnage, consistant en l’obtention illicite d’un secret des affaires d’une entreprise.

Un dommage : Les préjudices économique et moral subis par l’entreprise ciblée en raison de la rupture de la confidentialité d’informations secrètes à valeur commerciale effective ou potentielle, ainsi que la perte de chance.

Un lien de causalité direct et certain : Nécessité de prouver que l’obtention illicite d’un secret des affaires a causé le préjudice allégué.

Mesures de prévention et de cessation de l’espionnage 

L’entreprise s’estimant victime pourra demander devant le juge civil en vertu de l’article L 152-3 du Code de commerce, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, la prévention ou la cessation de l’atteinte au secret des affaires, l’interdiction de l’utilisation économique ou commerciale du secret obtenu illicitement et des produits en résultant et la destruction totale ou partielle de tout support contenant le secret des affaires obtenu illicitement.

Ce régime est similaire à celui de lutte contre la contrefaçon posé par la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007.

L’article L 152-3 dispose aussi que la durée des mesures prononcées par le juge « doit être suffisante pour éliminer tout avantage commercial ou économique que l’auteur de l’atteinte au secret des affaires aurait pu tirer de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation illicite du secret des affaires. »

Mesures provisoires et conservatoires 

L’urgence des situations est prise en compte par l’article L 152-4 qui prévoit que le juge saisi sur requête ou en référé peut ordonner des mesures provisoires et conservatoires afin prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires.

Versement d’une indemnité volontaire 

L’article L 152-5 du Code de commerce ouvre la possibilité d’une indemnité volontaire versée par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires.

Le texte dispose que « sans préjudice de l’article L. 152-6, la juridiction peut ordonner, à la demande de l’auteur de l’atteinte illicite au secret des affaires, le versement d’une indemnité à la partie lésée au lieu des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-3 lorsque sont réunies les conditions suivantes :

« 1° Au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite ; 

L’exécution des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-3 causerait à cet auteur un dommage disproportionné

3° Le versement d’une indemnité à la partie lésée paraît raisonnablement satisfaisant. 

Lorsque le versement de cette indemnité est ordonné en lieu et place des mesures prévues aux 1° et 2° du I du même article L. 152-3, cette indemnité ne peut être fixée à une somme supérieure au montant des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser ledit secret des affaires pour la période pendant laquelle l’utilisation du secret des affaires aurait pu être interdite. »

Cet article sur l’indemnité volontaire entre en résonance avec les articles L 151-5 et L 151-6 du Code de commerce. Lorsque l’utilisateur ou le divulgateur de l’atteinte au secret des affaires ne savait ou ne pouvait pas savoir que l’information avait été obtenue de manière illicite, le versement d’une indemnité est admis. L’idée de bonne foi de l’utilisateur ou du divulgateur de l’information protégée est ici implicitement soulignée.

Par ailleurs, lorsque les mesures de l’article L 152-3 du Code de commerce causeraient un dommage disproportionné à l’utilisateur ou au divulgateur, le versement de l’indemnité est donc privilégié.

Dès lors, cet article L 152-5 du Code de commerce semble poser un régime de responsabilité sans faute, dite aussi objective, afin de permettre en toute circonstance l’indemnisation de l’entreprise victime d’espionnage économique. L’impératif d’indemnisation de l’entreprise lésée prédomine.

Mesures de réparation du préjudice 

Une fois établis le fait d’atteinte illicite au secret des affaires, le préjudice effectivement subi et le lien de causalité entre les deux, le juge prononce en application de l’article L 152-6 du Code de commerce des dommages et intérêts prenant en considération distinctement les éléments suivants :

  1. Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
  2. Le préjudice moral causé à la partie lésée ;
  3. Les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.

Ces éléments déterminant le montant des dommages et intérêts correspondent à ceux de l’article L 521-7 du Code de la propriété intellectuelle tel que modifié par la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon. La loi du 30 juillet 2018 y a ajouté la perte de chance.

De plus, cet article L 152-6 du Code de commerce prévoit que la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie victime, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte illicite avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie victime.

Mesures de publicité 

Une fois le juge ayant constaté l’obtention, l’utilisation ou divulgation illicite d’un secret des affaires, il peut ordonner toute mesure de publicité de sa décision en application de l’article L 152-7 du Code de commerce.

Les mesures de publicité envisagées vont de l’affichage de la décision ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne que le juge désigne, selon les modalités qu’il précise. Les mesures de publicité sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte.

Sanctions en cas de procédure dilatoire ou abusive 

L’article L 152-8 du Code de commerce dispose que lorsqu’une personne physique ou morale agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement de l’atteinte au secret des affaires, elle peut être condamnée par le juge au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €. 

Cette amende civile peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure dilatoire ou abusive.

Protection du secret des affaires durant les instances civiles et commerciales 

L’article L 153-1 du Code de commerce assure un équilibre entre protection du secrets des affaires dans le cadre d’instances devant les juridictions civiles et commerciales et le respect du principe du contradictoire. Les mesures énoncées ont pour objectif d’éviter qu’une entreprise s’estimant victime renonce à agir devant les juges, de crainte de voir définitivement perdu le caractère secret de son information protégée.

Ainsi, si la production ou la communication d’une pièce est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut décider de prendre connaissance seul de la pièce en question, limiter la communication ou la production de la pièce, décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil, c’est-à-dire en l’absence du public, et adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci.

L’article L 153-2 dispose que toute personne physique ou morale ayant accès dans le cadre d’une procédure à une pièce couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité.  Cette obligation ne s’applique pas à ces personnes dans leurs  rapports entre elles ni à l’égard des représentants légaux ou statutaires de la personne morale partie à la procédure.

Enfin, l’obligation de confidentialité perdure à l’issue de la procédure. Toutefois, elle prend fin si une juridiction décide, par une décision non susceptible de recours, qu’il n’existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont entre-temps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles.

Les conditions d’application de ces nouvelles dispositions sont fixées par décret en Conseil d’Etat, d’après l’article L 154-1 du Code de commerce introduit par cette nouvelle loi.

C’est chose faite avec le décret n°2018-1126 du 11 décembre 2018 venant préciser les mesures d’application de cette loi n°2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires. Ce texte porte essentiellement sur les mesures provisoires et conservatoires pouvant être prononcées sur requête ou en référé en cas d’atteinte à un secret des affaires et sur les règles de procédure applicables aux mesures de protection de ce secret devant les juridictions civiles et commerciales.

L’absence de mention de sanction pénale

La loi du 30 juillet 2018 ne prévoit pas de sanction pénale à la violation du secret des affaires, à l’opposé de la loi du 29 octobre 2007 sur la lutte contre la contrefaçon (voir l’article L 521-10 du Code de la propriété intellectuelle).

Toutefois, comme vu précédemment, une action pénale contre l’atteinte illicite au secret des affaires demeure possible sur le fondement de l’espionnage économique (articles 411-6 à 411-8 du Code pénal), du vol (article 311-1 du Code pénal), de l’espionnage informatique (article 323-3 du Code pénal), de l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal) ou même de la violation du secret des correspondances (article 226-15 du Code pénal).

Lire aussi : Comment protéger votre entreprise contre les cybermenaces ?

Néanmoins, le Conseil d’Etat avait souligné dans un avis rendu le 15 mars 2018 que les infractions pénales existantes ne permettaient d’appréhender qu’imparfaitement les atteintes illicites portées au secret des affaires. Rappelant un avis du 31 mars 2011, le Conseil d’Etat avait noté qu’une définition large et insuffisamment précise du secret des affaires se prêtait mal au domaine pénal compte tenu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale et du respect du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Conclusion

Ce nouveau dispositif législatif arrive à point nommé pour les entreprises françaises confrontées à la réalité de l’espionnage de la part de concurrents nationaux ou étrangers, dans un contexte de guerre économique à l’échelle européenne et internationale.

La dimension européenne de la protection du secret des affaires, grâce aux transpositions dans le droit national des Etats membres de la directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016, renforce la position des entreprises. Ce nouveau régime permet de consacrer pleinement les secrets d’affaires comme des vecteurs de croissance économique et d’emplois, tout en prenant en compte les droits et libertés des journalistes, des lanceurs d’alerte, des salariés et de leurs représentants.

La mise en œuvre pratique de cette loi du 30 juillet 2018 par les entreprises et les juridictions montrera rapidement si les nouvelles dispositions constituent une protection efficace des “secrets des affaires”, dans un monde où l’espionnage économique est permanent. 

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