Par Anthony Marcus, consultant en géopolitique, pour Eurasia Business News, le 20 novembre 2023

Cet économiste et homme politique libertarien promet de rompre avec les BRICS, de procéder à la dollarisation et à des privatisations massives pour relancer l’économie argentine. Photo : le 19 novembre 2023, Javier Milei quitte le bureau de vote. Le soir, il sera prononcé vainqueur de l’élection.

Javier Milei, l’économiste libertarien et populiste, a remporté le second tour de l’élection présidentielle argentine le 19 novembre. Après avoir traité 99,3 % des votes, la commission électorale annonça que le candidat Milei avait remporté 55,7 % des suffrages. L’adversaire de Milei, le ministre de l’Economie Sergio Massa, candidat de la coalition péroniste de centre-gauche au pouvoir, l’Alliance pour la patrie, a obtenu 44,3% des voix. Sergio Massa a reconnu publiquement la victoire de son concurrent.

« Aujourd’hui, la reprise de l’Argentine commence. Aujourd’hui, c’est le début de la fin du déclin de l’Argentine », a commenté Javier Milei à l’annonce de sa victoire. Le nouveau président libertarien s’est engagé à « travailler côte à côte avec tous les pays du monde libre » pour construire « un monde meilleur de démocratie et de libre-échange ».

Une thérapie de choc

En politique intérieure, conformément à la pensée libertarienne de l’Ecole autrichienne, Javier Milei prône une intervention minimale du gouvernement, veut abolir la banque centrale du pays et propose de remplacer la monnaie nationale, le peso, par le dollar américain, afin d’en finir avec l’inflation. Pour résoudre les problèmes économiques, le nouveau président, qui a choisi la tronçonneuse comme symbole, a l’intention de réduire sérieusement les dépenses budgétaires dans l’éducation, la santé, la culture, la protection de l’environnement. La victoire de Javier Milei est intervenue dans un contexte d’inflation anormalement élevée en Argentine. En octobre, selon l’office statistique du pays, l’inflation annuelle a atteint 142,7%, le niveau le plus élevé depuis 1991. Elle était de 42% en 2020 et 54% en 2019. Autant dire que le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes a durement chuté sur les cinq dernières années.

Ces dernières années, les Argentins se sont appauvris. Selon certaines estimations, au milieu de l’année 2023, le taux de pauvreté dans le pays était passé à 43 % (12,5 millions de personnes vivent aujourd’hui dans la pauvreté, soit un million de plus qu’un an plus tôt).

Parmi les autres idées radicales du président Milei, citons la légalisation de la vente d’organes de donneurs, l’assouplissement des contrôles sur la vente d’armes à feu et la privatisation du secteur de la santé, qui en Argentine a toujours été aux mains de l’État.

Cependant, les propositions de Milei ont suscité des débats et des inquiétudes. Les critiques soutiennent que son plan de dollarisation et ses coupes sombres dans les dépenses publiques pourraient avoir des répercussions économiques et sociales importantes, et que ses politiques pourraient être impopulaires, en particulier parmi les Argentins à faible revenu

En août dernier, le gouvernement argentin a réduit de force les exportations d’un certain nombre de produits alimentaires, en particulier la viande, afin de contenir la hausse des prix alimentaires. À la fin du mois d’octobre, le ministre de l’Economie Sergio Massa avait menacé d’interdire aux compagnies pétrolières d’exporter du pétrole si elles ne vendaient pas plus de carburant sur le marché intérieur, où il y avait une pénurie. Cette pénurie a été renforcée de facto par les mesures prises par le gouvernement, qui a gelé les prix du carburant, ce qui a rendu les exportations plus rentables que l’approvisionnement du marché intérieur.

En examinant la situation argentine, il apparaît clairement que la victoire de Milei aux élections a été assurée par la crise économique et la lassitude de la population à l’égard des péronistes au pouvoir [héritiers du président argentin le plus célèbre du XXe siècle, Juan Perón]. Il est cependant trop tôt pour juger si le président élu mettra pleinement en œuvre sa politique.

L’abandon du peso, la dollarisation, l’abolition de la banque centrale – toutes ces choses peuvent arriver, mais Milei devra faire face à une surveillance sérieuse de la part du Congrès. N’oublions pas la démocratie de « rue » : les péronistes peuvent faire descendre des centaines de milliers de travailleurs et de militants dans la rue. Tout cela peut freiner Milei.

Il est pourtant peu probable que Javier Milei parvienne à liquider la Banque centrale du pays, car la banque est un lien avec le système financier mondial et les organisations économiques internationales. Le scénario le plus probable pourrait être une vente massive des biens de l’État, y compris des terres agricoles, et leur achat par des sociétés transnationales (comme la multinationale américaine Monsanto) et un nouveau défaut sur les obligations d’État.

Rompre avec les BRICS ?

L’une des premières mesures du nouveau président pourrait être de retirer sa demande d’adhésion aux BRICS, que le pays prévoyait de rejoindre le 1er janvier 2024, a confirmé Diana Mondino, conseillère du président élu de l’Argentine et candidate la plus probable au poste de ministre des Affaires étrangères.

Diana Mondino a également annoncé l’intention du nouveau président de cesser d’interagir avec les gouvernements de la Chine et du Brésil. Javier Milei lui-même en a parlé, soulignant qu’il n’allait pas « avancer avec les communistes », mais qu’il avait l’intention de renforcer les liens avec les États-Unis et Israël.

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Milei a également plaidé en faveur d’une réduction des liens avec la Russie. Le 20 novembre, l’ambassadeur russe Dmitri Feoktistov a félicité le nouveau président pour sa victoire et a déclaré que Moscou était prêt à poursuivre la coopération avec l’Argentine, quelle que soit la situation politique. Il n’est pas certain que le nouveau président libertarien, se déclarant proche des Etats-Unis et d’Israël, mène une politique de rapprochement avec Moscou, bien au contraire.

Son idole, l’ancien président américain Donald Trump, a déjà réagi à la victoire de Milei. Il a dit que Javier Milei rendrait le pays « grand à nouveau ».

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Le président paraguayen, Santiago Peña, a tendu la « main cordiale et fraternelle » à son pays pour renforcer les relations. Les présidents du Pérou, Dina Boluarte, et de la Bolivie, Luis Arce Catacora, ont réagi positivement aux résultats des élections en Argentine.

Dans le même temps, le dirigeant colombien Gustavo Petro a qualifié la victoire du libertarien Miliei de triste nouvelle pour la région, “car l’idéologie de droite ne peut pas répondre aux défis auxquels l’Amérique latine est confrontée“. Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a souhaité bonne chance au nouveau gouvernement de l’Argentine, bien que Javier Milei n’ait pas l’intention de maintenir des relations avec le président brésilien, car appartenant à la gauche politique.

S’éloigner de la Chine

Dans le domaine de la politique étrangère, il faut s’attendre à un rapprochement entre l’Argentine et les États-Unis. Dans le même temps, un refroidissement des relations avec la Chine, le Brésil et la Russie est possible. Les liens de Buenos Aires avec la Chine et le Brésil seront également affectés par des divergences idéologiques. La suspension annoncée du processus d’adhésion de l’Argentine aux BRICS, voire son abandon, est tout à fait probable.

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La politique déclarée de Javier Milei de réduire les liens politiques et économiques avec la Chine ne semble cependant être qu’une annonce populiste. Elle n’est pas raisonnable d’un point de vue économique. Une part importante des investissements dans le secteur agricole d’exportation argentin vient de Chine. S’il y a une forte sortie de ces produits, ainsi qu’une baisse des achats chinois de biens d’exportation, l’économie argentine en souffrira. A moins que les investisseurs chinois soient remplacés par des investisseurs américains.

Qui est Javier Milei ?

Javier Gerardo Milei est un homme politique, économiste et auteur argentin qui a été élu président de l’Argentine lors du deuxième tour le 19 novembre 2023. Il est connu pour son expérience d’économiste, auteur de plusieurs livres sur l’économie et chroniqueur de télévision. Javier Milei est un ardent défenseur de l’École autrichienne d’économie et plaide pour une réduction massive des dépenses publiques. Il est membre du Parti Libertaire et s’est présenté à la présidence dans le cadre de son parti La Libertad Avanza, avec l’avocate Victoria Villarruel comme colistière. Le style agressif et théâtral de Milei, notamment le fait de brandir une tronçonneuse pour symboliser ses projets de réduction de la taille de l’État, lui a valu des comparaisons avec des personnalités comme Donald Trump et Jair Bolsonaro. Sa victoire aux élections primaires argentines de 2023 a provoqué une onde de choc au sein de l’establishment politique du pays, et il a gagné du soutien, en particulier parmi la classe moyenne déclassée par une inflation annuelle à 100% et les jeunes, grâce à ses critiques féroces de la corruption des élites, ses pitreries et ses citations colorées. Javier Milei dénonçait lors de la campagne électorale ce qu’il considère comme une caste politique, qu’il décrit comme étant composée de “politiciens inutiles et parasites qui n’ont jamais travaillé“.

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