Par Paul Jouvenet, juriste, essayiste et consultant en affaires internationales. Eurasia Business News, le 28 juin 2024. Article n°1057.

Tableau : La signature du traité de paix à Versailles, le 28 juin 1919, par Joseph Finnemore.

Ce 28 juin 2024 marque le 105e anniversaire du Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919 entre l’Allemagne et les Alliés, qui mit fin officiellement à la Première Guerre mondiale. La signature a lieu le 28 juin 1919 afin de commémorer l’attentat de Sarajevo survenu le 28 juin 1914, évènement qui fut le prétexte de l’ultimatum austro-hongrois adressé à la Serbie et qui eut pour conséquence une crise qui allait entraîner la mobilisation militaire des puissances européennes puis leur entrée en guerre.

Ce traité de Versailles vise à établir une paix durable et porte création en janvier 1920 de la Société des Nations, organisation internationale à vocation universelle, dont l’innovation principale est la garantie de la « sécurité collective ».

Le 11 novembre 1918, à 11 heures du matin, l’armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale entrait en vigueur. Les tirs cessent et il s’agit maintenant de construire la paix. Après quatre ans de combats très durs, l’Allemagne et ses alliés autrichiens, turcs et bulgares ont été vaincus. Des dizaines de millions de personnes ont été tuées ou blessées. Deux mois plus tard, les délégués des Alliés occidentaux se réunissent à Paris pour déterminer les termes de la paix, qui aboutit au traité de Versailles.

Alors que les Empires centraux que sont l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie sont à l’origine de la guerre en 1914, les Alliés victorieux décident de leur dislocation pour donner aux différents peuples les composant un Etat-Nation propre. Après la guerre de nouveaux Etats apparaissent en Europe centrale et orientale.

Le traité de paix a été accepté par l’Assemblée de Weimar dès le 9 juillet 1919. En France, il a fait l’objet de la loi de ratification du 12 octobre 1919. Il est formellement entré en vigueur le 10 janvier 1920.

Le symbole de la galerie des Glaces

La galerie des Glaces du château de Versailles a été choisie comme lieu de signature du traité de Versailles le 28 juin 1919 pour une raison de vengeance symbolique de la France. Elle fut le lieu de la proclamation de l’Empire allemand en 1871, après la défaite de la France lors de la guerre franco-prussienne de 1870. En signant le traité ici, le Premier ministre français Clemenceau cherchait à rendre justice et à réparer l’humiliation antérieure de la France. En 1871, les prussiens avaient choisi la Galerie des glaces de Versailles car la ville fut le lieu de la dernière victoire des soldats de l’armée de Napoléon le 1er juillet 1815 (bataille de Rocquencourt, débordant au Chesnay et dans les rues de Versailles), après la défaite de Waterloo du 18 juin 1815. Versailles était aussi la création et le coeur du pouvoir politique de Louis XIV, grand roi de France ayant humilié les principautés allemandes aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Par ailleurs, la galerie des Glaces avait une longue histoire d’accueil d’événements diplomatiques importants, y compris des réceptions pour les ambassadeurs étrangers par des rois Louis XIV et Louis XV.

Enfin, le cadre opulent de la galerie des Glaces, avec ses 357 miroirs et ses décorations somptueuses, a fourni une toile de fond impressionnante pour un accord international aussi important.

    Etablir une paix durable

    Le Traité de Versailles a été critiqué pour avoir imposé des conditions dures à l’Allemagne, notamment le versement d’indemnités de réparation, ce qui aurait contribué au ressentiment des nationalistes et militaires allemands, menant à la montée du nazisme dans les années 1920 et 1930 et l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939. Certains affirment depuis qu’une paix durable doit être fondée sur la justice et l’équité, et éviter les humiliations et les punitions excessives qui peuvent semer les graines de futurs conflits.

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    Cependant, il s’agissait alors d’éviter un troisième conflit entre la France et l’Allemagne en un siècle (la guerre de 1870 entre l’Empire français et l’Allemagne, la Première guerre mondiale de juillet 1914 à novembre 1918).

    En 1919, l’Allemagne étant désignée comme la principale responsable de l’ouverture des hostilités, le but de la France, dont la frontière orientale était exposée, était d’affaiblir le pays afin d’éviter un éventuel troisième conflit. Cela va prendre plusieurs formes comme l’occupation militaire, qui va porter atteinte à l’économie allemande ou encore la saisie d’une partie du matériel militaire pour freiner le développement de l’armée. Sur le terrain, cette occupation prend la forme d’un glacis protecteur et d’une zone démilitarisée, comme le montre ci-dessous ce projet français d’avant la signature du traité.

    Les Régions du Nord-Est de la France nouvelle et les provinces rhénanes : Conditions territoriales de l’armistice, 1915. (Source : Gallica BNF, France)

    Tracer de nouvelles frontières

    Le traité de Versailles marque la fin de l’Empire allemand des Hohenzollern et en redessine les frontières. Au total, la nouvelle république d’Allemagne perd un dixième de sa population et un septième de son ancien territoire. La reconquête de l’Alsace et de la Lorraine, principal but de guerre de la France depuis sa parte en 1870, pousse environ 300 000 Allemands sur les routes de l’exil.

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    A l’ouest encore, les territoires allemands d’Eupen et de Malmedy sont cédés à la Belgique, en réparation des exactions commises par les allemands contre les civils belges.

    L’Allemagne perd l’ensemble de ses colonies d’outre-mer. Ces colonies allemandes d’outre-mer ont été redistribuées entre les puissances alliées en tant que « mandats » sous la Société des Nations. Certains territoires de l’Allemagne de l’Est sont cédés à la Pologne nouvellement reconnue, créant ainsi le « corridor polonais » qui a donné à la Pologne un accès à la mer Baltique (le couloir de Dantzig).

    Restrictions militaires

    La puissance militaire de l’Allemagne est sévèrement réduite. L’armée allemande était limitée à 100 000 hommes, la conscription était interdite et des restrictions étaient imposées sur les armes et les forces navales. Du matériel militaire est saisi par la France. La Rhénanie, région industrielle et minière, est désignée comme zone démilitarisée pour créer une zone tampon entre l’Allemagne et la France.

    Culpabilité de guerre et réparations

    La « clause de culpabilité de guerre » du traité a forcé l’Allemagne à accepter l’entière responsabilité de la guerre. En conséquence, l’Allemagne a dû payer des réparations substantielles aux puissances alliées, initialement fixées à 20 milliards de marks-or, couvrant à peine les dommages causés par l’armée allemande sur le territoire français.

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    Création de nouveaux États

    Le Traité de Versailles du 28 juin 1919 a joué un rôle crucial dans la redéfinition des frontières européennes, contribuant à la dissolution des empires austro-hongrois et ottoman. Cette reconfiguration géopolitique a conduit à l’émergence de plusieurs nouveaux États-nations en Europe centrale et orientale. Parmi ces nouveaux États figuraient la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Hongrie, l’Autriche, et la Yougoslavie.

    Tchécoslovaquie : Créée à partir des territoires de Bohême, Moravie, Slovaquie et Ruthénie subcarpathique, autrefois sous domination austro-hongroise, la Tchécoslovaquie est devenue un État-nation multiethnique avec une diversité de populations tchèques, slovaques, allemands, hongrois et ruthènes.

    Pologne : Réapparue sur la carte de l’Europe après plus d’un siècle de partitions entre la Prusse, l’Autriche et la Russie, la Pologne a été restaurée en tant que république indépendante avec un accès à la mer Baltique, à travers le « corridor de Dantzig ».

    Hongrie et Autriche : Le démantèlement de l’Empire austro-hongrois a conduit à la création d’États séparés. La Hongrie et l’Autriche sont devenues des républiques indépendantes, bien que fortement réduites en territoire et en influence.

    Yougoslavie : Formée principalement à partir des territoires des Slaves du sud de l’ex-empire austro-hongrois, ainsi que de certains territoires ottomans, la Yougoslavie a inclus des Serbes, Croates, Slovènes, Bosniaques, et d’autres groupes ethniques.

    Conséquences des nouvelles frontières :

    La création de ces nouveaux États s’est accompagnée de défis significatifs. Les frontières tracées souvent sans tenir pleinement compte des réalités ethniques et historiques ont conduit à des tensions et à des conflits internes. Les nouvelles minorités ethniques, souvent importantes, se sont retrouvées dans des États où elles ne jouissaient pas toujours de droits équitables, générant des tensions politiques et sociales.

    Rôle des institutions internationales

    Le Traité de Versailles a également conduit à la création de la Société des Nations (SDN), la première tentative d’établir une organisation internationale visant à maintenir la paix et à prévenir les conflits futurs. Cependant, la Société des Nations s’est révélée inefficace pour plusieurs raisons.

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    Mais la SDN, dès sa création, comportait plusieurs faiblesses, qui la priverait de la possibilité de bloquer la montée vers la Seconde guerre mondiale (1939-1945).

    Décisions à l’unanimité : Le fonctionnement de la Société des Nations était entravé par la nécessité d’une unanimité pour les décisions importantes, rendant difficile l’adoption de mesures rapides et efficaces.

    Absence des grandes puissances : Les États-Unis, dont le président Woodrow Wilson avait été un ardent défenseur de la Société, n’ont jamais rejoint l’organisation, affaiblissant son autorité et sa capacité d’action. De plus, des puissances majeures comme l’Allemagne et la Russie soviétique n’ont pas été incluses dès le départ, ce qui a limité la représentativité et l’efficacité de l’organisation.

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    Manque de mécanismes de coercition : La Société des Nations ne disposait pas de forces armées propres ni de moyens coercitifs efficaces pour faire respecter ses décisions, ce qui a rendu ses résolutions souvent inefficaces face aux agressions militaires, comme celles du Japon en Mandchourie, de l’Italie en Éthiopie et de l’Allemagne nazie en Europe.

    Naissance du droit international pénal ?

    Le traité de Versailles du 28 juin 1919, par ses articles 227, 228 et 229, prévoyaient l’instauration d’un tribunal pour juger l’ancien Kaiser allemand Guillaume II d’« offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des Traités », pour avoir déclenché les hostilités menant à la Première Guerre mondiale du 28 juillet 1914 au 11 novembre 1918. Ces dispositions resteront vaines en raison de l’impunité assurée à Guillaume II par les Pays-Bas. Mais ces trois articles fondent un précédent et font émerger le régime du droit pénal international. Les tribunaux de Nuremberg en 1945 citeront le traité de Versailles dans leurs raisonnements juridiques pour établir la responsabilité pénale internationale des dirigeants de l’Allemagne nazie.

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    Les conséquences géopolitiques du Traité de Versailles ont été considérables.

    Ressentiment allemand

    Les conditions sévères imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles ont engendré un ressentiment profond et durable parmi la population allemande. Le traité a forcé l’Allemagne à accepter la responsabilité de la guerre (clause de culpabilité de guerre, article 231), à payer des réparations massives, et à céder des territoires significatifs. Cette situation a conduit à une instabilité économique sévère, exacerbée par l’hyperinflation des années 1920. Le sentiment d’injustice et d’humiliation national a été exploité par des mouvements politiques extrémistes, dont le Parti nazi, qui ont promis de renverser les conditions imposées par Versailles et de restaurer la fierté allemande.

    Stabilité européenne affaiblie

    Le Traité de Versailles a tenté d’établir un nouvel ordre international pour garantir la paix en Europe, mais il n’a pas réussi à équilibrer les mesures punitives contre l’Allemagne avec des politiques de réconciliation et de coopération. La création de la Société des Nations visait à prévenir de futurs conflits, mais sans la participation des États-Unis et avec des mécanismes de sanction faibles, cette institution n’a pas pu maintenir une stabilité durable. Les tensions entre les nations européennes sont restées élevées, et les rivalités non résolues ont continué à miner les efforts de paix.

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    Changement de puissance mondiale

    Le Traité de Versailles a marqué une transition significative dans la dynamique de pouvoir mondiale. Les puissances européennes, épuisées économiquement et démographiquement par la Première Guerre mondiale, ont vu leur influence diminuer. En revanche, les États-Unis, qui avaient joué un rôle crucial dans la victoire alliée et dont l’économie avait prospéré pendant la guerre, ont émergé comme une superpuissance mondiale. Cette transition a marqué le début de l’influence américaine prédominante dans les affaires internationales tout au long du XXe siècle.

    Graines d’un conflit futur

    De nombreux historiens considèrent que les dispositions du Traité de Versailles ont directement contribué à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Les réparations économiques lourdes imposées à l’Allemagne ont déstabilisé son économie, conduisant à des crises sociales et politiques internes. Le ressentiment nationaliste et le désir de revanche ont été des catalyseurs puissants pour la montée du nazisme, qui a promis de défaire les humiliations de Versailles et de restaurer la grandeur allemande. Ainsi, au lieu de garantir une paix durable, le traité a créé les conditions propices à un nouveau conflit global.

    Renforcement des mouvements nationalistes

    Le Traité de Versailles a redessiné les frontières de l’Europe, créant de nouveaux États-Nations sur la base du principe d’autodétermination, promu par le président américain Woodrow Wilson dans ses “Quatorze points”. Cette reconfiguration géopolitique a encouragé les mouvements nationalistes non seulement en Europe, mais aussi dans d’autres régions du monde sous domination coloniale. En Europe de l’Est, des pays comme la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie ont émergé, souvent avec des minorités ethniques significatives à l’intérieur de leurs nouvelles frontières, ce qui a engendré des tensions internes et interétatiques. À l’échelle mondiale, le principe d’autodétermination a par la suite a inspiré des mouvements de décolonisation en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient, redéfinissant les relations internationales dans les décennies suivantes.

    ***

    Le Traité de Versailles du 28 juin 1919 a eu des répercussions géopolitiques profondes et durables. Il a non seulement façonné l’ordre mondial immédiat après la Première Guerre mondiale (1914-1918), mais a également influencé les dynamiques politiques et sociales menant à la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et au-delà. Les leçons tirées de ce traité soulignent l’importance de la justice, de l’équité et de la coopération dans la construction d’une paix durable, mais aussi de l’équilibre de la puissance. En 2024 les États actuels peuvent apprendre de ces erreurs historiques pour éviter de répéter les mêmes schémas et pour travailler ensemble à un ordre mondial plus stable et pacifique, alors que la guerre à grande échelle est de retour en Europe depuis février 2022.

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