Par Paul Jouvenet, juriste, essayiste et consultant en affaires internationales. Eurasia Business News, le 9 novembre 2024. Article n°1298.

Le 9 novembre est la date de l’effondrement du mur de Berlin, un événement symbolique qui sonna la fin de la guerre froide et déclencha une transformation géopolitique radicale en Europe et dans le monde. Il y a 35 ans, cette soirée dramatique du 9 novembre 1989 bouleversa non seulement les relations internationales, mais entraîna aussi la réunification de l’Allemagne et ouvrit la voie à une nouvelle ère de démocratie et de capitalisme dans les anciens pays du bloc soviétique.
Ce soir du 9 novembre 1989, la structure imprenable, clôturée de barbelés, de mines et de gardes, qui avait été pendant de nombreuses années le principal symbole de la guerre froide, fut ouverte pour la première fois au libre passage aux Berlinois.
Historiens, politologues et diplomates continuent d’explorer les implications profondes de cette rupture, dont l’impact persiste dans les relations mondiales d’aujourd’hui.
Contexte historique : un symbole de la guerre froide
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale le 8 mai 1945, l’Allemagne divisée est devenue un terrain d’affrontement entre deux idéologies inconciliables. D’un côté, la République fédérale d’Allemagne (RFA) pro-occidentale, soutenue par les États-Unis et les Alliés, et de l’autre, la République démocratique allemande (RDA), placée sous l’influence soviétique. L’historien Tony Judt décrit le mur de Berlin comme « un symbole de l’autoritarisme et de la répression » qui cristallisait la méfiance et la rivalité idéologique entre deux visions du monde (Tony Judt, Postwar: A History of Europe Since 1945, 2006). Sa construction en août 1961 fut une réponse directe à l’exode massif des citoyens de l’Est vers l’Ouest, menaçant la stabilité politique et économique du régime communiste de la RDA.
Au début des années 1960, la situation en Europe de l’Est et, en particulier, en Allemagne était très tendue. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a été divisée en quatre zones d’occupation : soviétique, américaine, britannique et française. En 1949, deux républiques indépendantes ont été formées : la République fédérale d’Allemagne (Allemagne de l’Ouest) et la République démocratique allemande (Allemagne de l’Est). Mais la frontière entre les deux pays semblait poreuse. Entre 1949 et 1961, l’année de la naissance du mur de Berlin, environ 1,6 million de personnes avaient quitté la RDA.
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De nombreux historiens, dont Frederick Taylor, notent que le mur de Berlin fonctionnait comme un « outil de discipline interne » pour le bloc de l’Est, maintenant les citoyens captifs au sein des frontières soviétiques (Taylor, The Berlin Wall: A World Divided, 2006). La chute du mur, alors, ne fut pas seulement une victoire symbolique de la liberté, mais un point de bascule menant à la désintégration des régimes communistes de l’Europe de l’Est.
Un effondrement précipité par la détente et la perestroïka
Les causes de la chute du mur s’enracinent dans une série de changements politiques et économiques amorcés dès le début des années 1980. Avec l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en mars 1985, l’Union soviétique adopta une politique de glasnost (transparence) et de perestroïka (restructuration) visant à revitaliser l’économie soviétique et à ouvrir la société à un dialogue plus transparent. Ces réformes permirent un assouplissement de l’autorité soviétique sur ses satellites et encouragèrent les mouvements contestataires en Europe de l’Est, en particulier en Allemagne de l’Est mais aussi en Hongrie ou en Pologne.
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Le diplomate américain George Kennan, père de la doctrine de containment, considéra la perestroïka comme un « signe de l’implosion inévitable du communisme », un système qu’il jugeait trop fragile pour résister à une ouverture (Kennan, At a Century’s Ending: Reflections, 1982-1995. 1997). L’ouverture en Hongrie de la frontière avec l’Autriche en mai 1989 constitua un signal fort pour les citoyens de la RDA, qui commencèrent à fuir en masse par cette brèche vers l’Occident. Ce flux migratoire créa une pression insoutenable sur le gouvernement est-allemand et précipita la crise.
Le rôle des manifestations et l’ouverture du mur
Les manifestations en Allemagne de l’Est, notamment celles de Leipzig en octobre 1989, furent décisives dans le renversement de la situation politique. Des milliers d’Allemands de l’Est défilaient pacifiquement pour réclamer des réformes et des libertés, défiant ouvertement le régime autoritaire. Comme l’a décrit le politologue Timothy Garton Ash, « le murmure de la rue devint un cri collectif, faisant trembler les fondements mêmes du mur » (Garton Ash, The Magic Lantern, 1990).
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La nuit du 9 novembre, une confusion bureaucratique aboutit à la déclaration imprévue d’un porte-parole du Parti socialiste unifié, Günter Schabowski, annonçant que les Allemands de l’Est étaient “autorisés à voyager à l’étranger”, sans devoir demander “un visa de sortie”. Les règles prévoyaient les voyages à l’étranger sans droit de retour en RDA. Schabowski, sans préciser l’information, en a informé la presse en répondant aux questions lors d’une conférence de presse, ce qui a inquiété les journalistes. Les informations du soir indiquaient aux Berlinois que « la RDA ouvrait ses frontières ». En quelques heures, des foules de Berlinois de l’Est et de l’Ouest affluèrent vers les points de passage, les gardes-frontières, débordés, ne pouvant que laisser passer la foule en liesse. Cet événement, non anticipé par les autorités est-allemandes, fut un tournant marquant non seulement la réunification allemande, mais aussi la chute imminente de l’emprise soviétique sur ses États satellites.

En quelques heures, environ 20 000 personnes ont franchi la frontière. Et au matin, les contrôles à tous les postes-frontières ont cessé, et la ville était en proie à la jubilation. Au cours des quatre jours suivants, environ 4 millions de Berlinois ont visité la seconde moitié de la ville, jusque-là fermée. Bientôt, Mstislav Rostropovitch, musicien et dissident soviétique, jouera une suite de Bach près d’un mur devenu inutile devant un flot de gens.
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Les deux parties de l’Allemagne ont commencé à s’unifier : la RDA et la RFA ont de nouveau cherché à devenir un seul État. Au printemps 1990, des élections ont eu lieu à Berlin-Est, qui ont légalement officialisé la fin du régime communiste. Ensuite, il y a eu l’abolition complète des contrôles aux frontières et des déclarations sur l’unité du peuple allemand et une réunion des dirigeants des deux États allemands et anciens alliés de la Seconde Guerre mondiale. Le symbole de cette ère de 30 ans était le graffiti de Dmitry Vroubel « Seigneur ! Aide-moi à survivre au milieu de cet amour mortel. Il s’agit d’une reproduction d’une photo d’un baiser fraternel entre Leonid Brejnev et le dirigeant de la RDA Eric Honecker. L’URSS, en proie à la perestroïka, n’a pas interféré avec le processus d’ouverture des frontières et d’unification de l’Allemagne.
Conséquences géopolitiques et répercussions mondiales
La chute du mur a rapidement conduit à la réunification de l’Allemagne en 1990, intégrée comme un acteur clé de l’Union européenne. Selon l’historien Andreas Rödder, la réunification allemande fut perçue par les pays voisins comme « à la fois une promesse et une menace », mettant en évidence la complexité des enjeux de l’après-guerre froide (Rödder, Deutschland einig Vaterland, 2009). Cette réunification reconfigura l’Europe, amenant à des transformations profondes dans les pays de l’ancien bloc de l’Est, qui, après la chute des régimes communistes, entreprirent des réformes économiques et des transitions vers des régimes démocratiques.
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Sur le plan mondial, l’effondrement du mur de Berlin marqua la fin de la bipolarité, libérant la scène internationale d’une opposition rigide entre deux blocs idéologiques. Des diplomates tels que Henry Kissinger considèrent cet événement comme le point de départ de l’ordre mondial post-guerre froide, caractérisé par l’émergence de nouvelles puissances et la montée de problématiques transnationales, telles que le terrorisme, les réseaux criminels et les crises économiques. La vision de Kissinger dans son ouvrage Diplomacy souligne que la chute du mur a ouvert une période d’incertitude, dans laquelle les États-Unis, à travers une diplomatie de puissance, ont tenté de maintenir un équilibre stratégique face aux nouvelles dynamiques mondiales.
La chute du mur et la vision européenne d’unité
La chute du mur a également contribué à catalyser l’unification européenne. Jacques Delors, président de la Commission européenne à l’époque, décrivit cet événement comme une « chance historique » pour achever l’intégration européenne, en incluant les pays de l’Europe de l’Est dans une vision d’unité et de paix (Delors, Mémoires). L’intégration progressive de l’Europe de l’Est dans l’Union européenne a ouvert de nouvelles perspectives, même si elle a également exacerbé des tensions internes, notamment autour des questions économiques et migratoires.
La symbolique du mur et la mémoire collective
Au-delà des réalités géopolitiques, le mur de Berlin et sa chute restent des symboles puissants de la quête de liberté des individus et de défaite inéluctable du totalitarisme. Le politologue Charles Maier observe que le mur est « autant une frontière physique qu’un mur mental », représentant les peurs et les préjugés construits de part et d’autre de la guerre froide (Maier, Dissolution: The Crisis of Communism and the End of East Germany? 1997). La chute du mur marque une victoire des droits et libertés en Europe sur les idéologies et bureaucraties totalitaires. La liberté de circuler était depuis le Traité de Rome de 1957 un pilier fondamental des Européens de l’Ouest. Avec le 9 novembre 1989, les Européens de l’Est goûtent à cette liberté, qui sera consacrée dans les Accords de Schengen, entrés en vigueur en 1995.
Conclusion
La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, cet effondrement aussi spectaculaire qu’inattendu d’un symbole de la guerre froide, fut un événement de portée mondiale, déclenchant une refonte complète de l’ordre géopolitique. Trente-cinq ans après, cet épisode résonne encore dans les relations internationales, en soulignant les complexités d’une Europe unifiée et d’un monde globalisé. Les enseignements tirés de la chute du mur rappellent la prégnance de la quête des peuples vers la liberté.
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