Par Paul Jouvenet, juriste et essayiste. Eurasia Business News, le 20 juillet 2023

Photo : Henri Kissinger et Xi jinping, le président de la République populaire de Chine, se serrant la main le 20 juillet 2023 à Pékin.

L’ancien secrétaire d’État américain et maintenant centenaire Henry Kissinger est reçu en visite à Pékin par le président chinois Xi Jinping. Le but de ce voyage est de discuter avec les dirigeants chinois sur leurs pensées, pour mieux guider Washington dans sa relation difficile avec la puissance chinoise.

La visite était prévue il y a au moins deux mois. Pendant le voyage en tant que personne privée, Henri Kissinger espère avoir des « conversations plus intimes » avec des dirigeants chinois, ce qui est souvent difficile lors des visites officielles.

« Kissinger voyage certainement en tant que citoyen privé, pas à la demande du gouvernement américain. Naturellement, il est invité à rencontrer de hauts responsables lorsqu’il visite un pays étranger, en particulier la Chine, et ils expriment invariablement leur opinion et lui demandent », a déclaré une source proche de l’équipe de Kissinger.

Le 19 juillet, Kissinger a été reçu par le chef du bureau de la Commission des affaires étrangères du Comité central du PCC, Wang Yi, ancien ministre chinois des Affaires étrangères, qui s’était rendu à Moscou en février dernier pour mener d’importantes négociations relatives à la situation en Ukraine.

« Le développement de la Chine a une puissante force motrice interne et une logique historique inévitable, il est vain de tenter de transformer la Chine, encore plus de la contenir », a déclaré M. Wang lors de sa rencontre avec Henri Kissinger. L’officiel chinois a averti que les États-Unis devaient se distancier des séparatistes taïwanais s’ils voulaient maintenir la stabilité dans le détroit de Taïwan.

Le 20 juillet, l’ancien secrétaire d’État américain a rencontré le dirigeant chinois Xi Jinping. Selon le ministère chinois des Affaires étrangères, le président chinois a noté la contribution de Kissinger au processus de normalisation des relations entre Pékin et Washington, « qui a non seulement profité aux deux pays, mais a également changé le monde », et a qualifié le politicien américain de « vieil ami » de la Chine.

Né en mai 1923, Henry Kissinger est salué dans les médias d’Etat chinois comme un “diplomate de légende”, qui a permis le rapprochement dans les années 70 entre la Chine et Etats-Unis, en pleine Guerre froide. La normalisation des relations entre les deux États, alors en inimitié avec l’URSS, influença largement l’issue de la Guerre froide. Maintenant, dans le triangle États-Unis-Chine-Russie, c’est Washington qui a des relations difficiles avec les deux autres pays, comme Kissinger l’a souligné pendant la présidence de Donald Trump.

Depuis 1971, M. Kissinger s’est rendu en Chine plus de 100 fois”, a souligné jeudi la télévision d’Etat chinoise.

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M. Xi a souligné ce jour qu’à l’heure actuelle, la Chine et les Etats-Unis sont « à la croisée des chemins » et qu’ils doivent à nouveau faire un choix. Selon le dirigeant chinois, les pays peuvent réaliser des réalisations mutuelles et une prospérité commune. « Le point clé est de suivre les trois principes de respect mutuel, de coexistence pacifique et de coopération mutuellement bénéfique. Sur cette base, la Chine est prête à explorer avec la partie américaine la bonne voie pour les deux pays et à promouvoir les progrès constants des relations sino-américaines, ce qui profitera aux deux parties et au monde », a déclaré le président chinois.

Il a également exprimé l’espoir que Kissinger et « les personnes astucieuses aux États-Unis » continueront à jouer un « rôle constructif » dans le retour des relations entre les pays sur la « bonne voie ».

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À son tour, Kissinger a déclaré que les relations entre Washington et Pékin sont cruciales pour le développement des deux pays et du monde entier. « Dans les circonstances actuelles, nous devons adhérer aux principes énoncés dans le communiqué de Shanghai, comprendre l’extrême importance du principe d’une seule Chine pour la Chine et promouvoir le développement des relations américano-chinoises dans une direction positive. Je suis prêt à poursuivre mes efforts pour renforcer la compréhension mutuelle entre les peuples des États-Unis et de la Chine », a souligné l’ancien secrétaire d’État.

La Chine considère Taïwan comme son territoire, tandis que les autorités de l’île déclarent l’illégitimité des revendications de Pékin. Les États-Unis adhèrent à la politique d’une seule Chine, mais fournissent en même temps des armes à Taiwan. Le président américain Joe Biden a également déclaré que les États-Unis interviendraient si la Chine attaquait Taïwan.

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Le conservateur de la diplomatie chinoise au Comité central du Parti communiste, Wang Yi, avec qui Kissinger s’est entretenu la veille, a assisté à la réunion.

Kissinger a été secrétaire d’État pendant la présidence de Richard Nixon (1969-1974). C’est au cours de cette période que les États-Unis et la Chine communiste ont établi des relations. En particulier, Nixon s’est rendu en Chine en 1972, devenant le premier président américain à le faire.

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Wang Yi, lors d’une réunion avec le politicien de 100 ans, a déclaré que la politique américaine avait besoin de sa « sagesse diplomatique » et du « courage politique » de Nixon. Il a également souligné l’importance du respect par Washington du principe d’une seule Chine. Kissinger, en réponse, s’est dit confiant que les États-Unis continueraient à le faire.

Au cours du voyage, Kissinger a également rencontré le ministre chinois de la Défense Li Shanfu, qui fait l’objet de sanctions américaines depuis 2018 en raison de sa coopération militaire avec la Russie.

La journaliste américaine Laura Secor, spécialiste de l’Iran, avait publié le 12 août 2022 dans le Wall Street Journal un entretien avec Henry Kissinger. L’ancien Secrétaire d’Etat et conseiller à la sécurité nationale venait de publier son 19e livre, “Leadership: Six Studies in World Strategy“, ouvrage de 528 pages. D’après lui, les Etats-Unis sont au bord de la guerre avec la Russie et la Chine, en raison d’une politique étrangère erratique de Washington, menée sans but clair et sans homme d’Etat clairvoyant.

Depuis les années 1950, alors qu’il enseignait comme universitaire à Harvard, écrivant sur la stratégie nucléaire, M. Kissinger a défini et analysé la diplomatie comme un exercice d’équilibre entre les grandes puissances, assombries depuis 1945 par le potentiel de catastrophe nucléaire et de destruction mutuelle. La capacité apocalyptique de la technologie moderne des armes, selon lui, fait du maintien de l’équilibre entre puissances hostiles, aussi difficile soit-il, un impératif primordial des relations internationales. L’ordre et la stabilité par l’équilibre des puissances est un principe fondamental de la théorie réaliste des relations internationales, dont les principaux théoriciens sont Hans Morgenthau, Raymond Aron, Kenneth Waltz, John Mearsheimer et bien sûr Henry Kissinger.

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Conforme à la pensée réaliste des relations internationales, Henry Kissinger propose de travailler sur une nouvelle structure internationale, garante d’ordre et de stabilité. Afin de préserver l’équilibre des puissances, Kissinger recommande que la Russie ait une place dans ce nouvel ordre, comme une place avait été attribuée à la France après 1815, et à l’Allemagne après 1918 et 1945.

“L’objectif d’un processus de paix serait double : confirmer la liberté de l’Ukraine et définir une nouvelle structure internationale, en particulier pour l’Europe centrale et orientale. Finalement, la Russie devrait trouver une place dans un tel ordre.”

Bien que Kissinger n’ait pas occupé de poste depuis 1977, il a conseillé pratiquement tous les présidents américains depuis Nixon. Son bilan et ses points de vue divisent profondément l’opinion, mais il est rarement ignoré. Son influence sur la politique étrangère des Etats-Unis est réelle.

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Dans l’équipe de Richard Nixon, Henry Kissinger développa la politique de détente avec l’Union soviétique. Kissinger négocia ainsi le traité SALT I avec Moscou, un accord limitant le nombre d’armes nucléaires des deux superpuissances. De même, en juin et octobre 1971, pour la première fois, Kissinger entra secrètement en contact avec la Chine communiste avec la complicité du président du Pakistan Yahya Khan qui permit à l’avion de Kissinger de voler pour Pékin depuis Islamabad. Puis Kissinger accompagna le président américain Nixon lors de sa visite officielle en Chine (la première d’un président américain) en février 1972. En 1973, Kissinger joua un rôle important dans la fin de la guerre du Kippour en négociant le cessez-le-feu entre Israël et l’Égypte.

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