Par Clément Bigot, juriste et consultant en relations internationales, pour Eurasia Business News – 19 septembre 2021
Crise ouverte entre la France et deux de ses alliés, les États-Unis et l’Australie, après l’annulation inattendue par Canberra du contrat de fourniture de douze sous-marins français au profit du nouveau partenariat stratégique avec Washington et Londres (AUKUS).
La crise diplomatique entre la France et deux de ses alliés, les États-Unis et l’Australie, s’accentue. Humiliée après l’annulation inattendue par le gouvernement australien le 15 septembre du contrat signé en 2016 pour la fourniture de 12 sous-marins français à la Royal Navy australienne au profit du nouveau partenariat stratégique avec Washington et Londres (AUKUS), la France proteste et ne relâche pas la pression vis-à-vis de Canberra et de Washington.
En réponse à cette résiliation inattendue du contrat, la France a rappelé ses ambassadeurs des États-Unis et d’Australie pour des consultations le 17 septembre. Le 15 septembre, le président américain Joe Biden a annoncé la conclusion d’un nouveau partenariat sécuritaire avec la Grande-Bretagne et l’Australie. L’accord avait été gardé secret, son annonce a donc fait sensation. Canberra a ensuite prononcé la résiliation du contrat de 56 milliards d’euros signé en 2016 avec Paris sur la fourniture de 12 sous-marins à propulsion diesel-électrique de classe océanique par l’entreprise française de défense Naval Group.
Le président Joe Biden a justifié ce nouveau partenariat et le développement d’une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire pour l’Australie de la manière suivante :
« Nous devons être en mesure de faire face à la fois à l’environnement stratégique actuel de la région et à son évolution potentielle, car l’avenir de chacune de nos nations, et en fait du monde, dépend d’un Indo-Pacifique libre et ouvert, durable et florissant dans les décennies à venir. »
En réponse, le français Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a déclaré par communiqué le 17 septembre 2021 :
« A la demande du Président de la République, j’ai décidé du rappel immédiat à Paris pour consultations de nos deux ambassadeurs aux États-Unis et en Australie.
Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l’Australie et les États-Unis. […] »
Le ministre français a ajouté que l’abandon du projet de sous-marins de classe océanique qui liait l’Australie à la France depuis 2016, et l’annonce d’un nouveau partenariat avec les États-Unis visant à lancer des études sur une possible future coopération sur des sous-marins à propulsion nucléaire, constituent des « comportements inacceptables entre alliés et partenaires », dont les conséquences touchent « à la conception même que nous nous faisons de nos alliances, de nos partenariats et de l’importance de l’Indopacifique pour l’Europe. »
L’Australie se justifie
L’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont annoncé le 15 septembre un nouveau partenariat de sécurité – AUKUS. Dans le cadre de l’accord, l’Australie prévoit notamment d’utiliser la technologie américaine pour construire au moins huit sous-marins nucléaires, dont le premier entrera en service en 2036, ainsi que de rééquiper ses forces armées en missiles de croisière américains. Pour cette raison, Canberra a résilié le plus gros contrat de défense de son histoire avec la France, où cette décision a déjà été qualifiée de « coup de poignard dans le dos ».
“Ce n’est pas un changement d’avis, c’est un changement de besoin“, a déclaré le Premier ministre australien Scott Morrison pour justifier la décision du 15 septembre. Un choix qui s’inscrit dans une nouvelle alliance sécuritaire entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie dans la zone Indo-Pacifique afin de contenir l’influence géopolitique croissante de la Chine.
Seule une poignée de pays exploitent actuellement des sous-marins nucléaires, dont la Chine, la France, l’Inde, la Russie, les États-Unis et la Grande-Bretagne – ces six puissances possèdent également des armes nucléaires. Si le programme AUKUS est mis en œuvre, l’Australie deviendrait le premier Etat à détenir et utiliser des sous-marins à propulsion nucléaire, mais pas d’armes nucléaires.
La Grande-Bretagne, désireuse de redorer son blason mondial post-Brexit, est quant à elle heureuse de jouer le rôle de partenaire junior dans cette relation stratégique avec les Etats-Unis et l’Australie.
Le ministre français Jean-Yves Le Drian a déclaré que « Nous avions établi une relation de confiance avec l’Australie, et cette confiance a été trahie » et a ajouté que « l’histoire [du changement de partenaires] n’est pas terminée. »
Selon le chef de la diplomatie française, la partie australienne devrait expliquer comment elle va se retirer des contrats contraignants signés avec la France en 2016 et 2019. « La France entend être ferme sur cette question. »
Le ministre a en outre souligné que la France « se pose également des questions sur le comportement des États-Unis ».
L’écho historique de ce revirement
En raison de la situation actuelle, l’ambassade de France à Washington a annulé les célébrations marquant le 240e anniversaire de la bataille de la Chesapeake – affrontement naval décisif de la guerre d’Indépendance américaine, remporté grâce aux navires de la Marine royale française, sous le commandement du lieutenant général des armées navales François Joseph Paul de Grasse.
Un officier de haut rang de la Marine nationale, venu à Washington pour assister à l’événement, va rentrer à Paris. Ainsi, les Etats-Unis ont porté un coup le 15 septembre à l’influence navale de la France, qui plus de deux siècles plus tôt leur a permis de naître en tant que Nation indépendante.
Un compromis possible ?
En France, l’annonce de la décision australienne a suscité une forte déception parmi les diplomates, les professionnels de la défense et les entreprises. Beaucoup considèrent cette annonce comme inacceptable entre alliés et partenaires. La France est en effet le plus ancien allié des Etats-Unis, ayant soutenu financièrement et militairement son accession à l’indépendance entre 1776 et 1783.
Il semble que la crise actuelle soit la plus forte pour le partenariat transatlantique depuis l’invasion de l’Irak en 2003.
Une voie de sortie de cette crise diplomatique serait l’indemnisation des dépenses engagées par la France dans la négociation et la conclusion des contrats de 2016 et 2019, pour l’ensemble des douze sous-marins qui étaient commandés. Une autre solution serait de réduire le nombre de sous-marins vendus par la France à l’Australie, ce qui permettrait à la fois à Paris de garder la face et de préserver l’idée d’une alliance militaire commune dans l’Indo-Pacifique entre la France et l’Australie. Il serait en effet bien présomptueux de la part de l’Australie et des Etats-Unis de considérer qu’ils puissent se passer du savoir-faire et de la technologie française en matière de sous-marins d’attaque. En outre, la France est une puissance navale historique dans l’océan Indien.
La dure loi de la géopolitique
Au-delà du préjudice porté aux intérêts industriels et de défense de la France, les annonces du 15 septembre confirment la faiblesse géopolitique de l’Union européenne. D’une part, des 27 Etats membres, seule la France a la capacité technique et la volonté stratégique d’être présente militairement dans l’espace géopolitique de l’Indo-Pacifique, essentiel pour le XXIe siècle. D’autre part, l’annonce le 16 septembre par le chef de la politique étrangère de l’UE, le discret Josep Borrell, de la stratégie européenne pour l’Indo-Pacifique, est affaiblie par l’initiative trilatérale des Etats-Unis, de l’Australie et de la Grande-Bretagne. Il est en outre possible que l’initiative européenne de conclure avec la Chine à la fin du mois de décembre 2020 un vaste accord sur le commerce et les investissements ait irrité les Etats-Unis, qui ont bien compris que l’un des enjeux du XXIe siècle sera leur rivalité avec le géant chinois. Une fois encore, les ambitions géopolitiques de Bruxelles se heurtent brutalement à la réalité.
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