Par Paul Lefebvre, envoyé spécial à Berlin, pour Eurasia Business News, le 4 juillet 2022

L’Allemagne a affiché en mai 2022 un déficit commercial pour la première fois depuis 30 ans, illustrant l’impact de la guerre en Ukraine sur la plus grande économie d’Europe, dont la dépendance à l’égard des exportations et de l’industrie manufacturière est devenue une vulnérabilité.

Corrigées des variations saisonnières, les exportations de biens de l’Allemagne ont diminué de 0,5 % par rapport à avril, tandis que ses importations ont augmenté de 2,7 %, d’après les données publiées par l’office fédéral de statistique. En conséquence, la puissance industrielle allemande a enregistré un déficit commercial d’un milliard d’euros, soit près d’u milliard de dollars. L’Allemagne avait enregistré un excédent de 3,1 milliards d’euros en avril de cette année et de 13,4 milliards d’euros en mai 2021.

En mai 2022, l’Allemagne a exporté des marchandises vers les pays membres de l’UE pour 67,5 milliards d’euros et en a importé – pour 61,8 milliards d’euros. Par rapport à avril 2022, les exportations vers les pays de l’UE, compte tenu des fluctuations calendaires et saisonnières, ont diminué de 2,8%, tandis que les importations en provenance de ces pays ont augmenté de 2,5%. Les exportations allemandes vers les pays de la zone euro se sont élevées à 46,8 milliards d’euros (moins 2,8%), et les importations en provenance de ces pays à 42,5 milliards d’euros (plus 1,6%).

Les exportations allemandes vers les pays dits tiers (pays non membres de l’UE) se sont élevées à 58,3 milliards d’euros, et les importations de ces pays – 65 milliards d’euros. Par rapport à avril 2022, les exportations vers les pays tiers ont augmenté de 2,3% et les importations – de 2,9%. Les principales destinations d’exportation de l’Allemagne en mai étaient les États-Unis (13,4 milliards d’euros), la Chine (8,7 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (5,8 milliards d’euros).

La plupart des importations en mai, comme l’indique l’office allemand des statistiques, provenaient de Chine. De là, les marchandises furent importées sur une base calendaire et saisonnière pour 18 milliards d’euros, soit 1,6% de moins que le mois précédent. Les importations en provenance des États-Unis ont augmenté de 9,7 %, à 7,4 milliards d’euros, et les importations en provenance du Royaume-Uni ont diminué de 2 %, à 3,4 milliards d’euros.

Mai 2022 est le premier mois depuis 1991 au cours duquel les importations de l’Allemagne dépassèrent ses exportations. Ce basculement surprise s’ajoute à d’autres vents contraires économiques, notamment l’impact des prix élevés de l’énergie sur les dépenses des ménages et la menace d’un rationnement du gaz naturel si les Etats occidentaux maintenaient leurs sanctions sur les entreprises pétrogazières et les banques russes.

En outre, les flux commerciaux mondiaux continuent d’être perturbés par la pandémie de coronavirus, en particulier par les confinements rétablis dans de grandes villes industrielles en Chine.

Le redressement de la balance commerciale de l’Allemagne est en partie dû à la flambée des prix de l’énergie depuis 2021, avant même la guerre en Ukraine. Cela entraîna un bond de la valeur des importations en provenance de Russie et d’autres fournisseurs d’énergie, tandis que les exportations allemandes vers la Russie ont fortement chuté à la suite des sanctions imposées par les gouvernements occidentaux sur les banques russes. Entre janvier et mai 2022, les importations allemandes en provenance de Russie augmentèrent cependant de 54,5% par rapport à la période comparable de l’année précédente, tandis que ses exportations vers le pays diminuèrent de 29,8%. La Russie reste un fournisseur d’énergie et de matières premières (métaux, minerais, produits de base) essentiel pour l’industrie allemande.

Cependant, le déficit commercial de l’Allemagne avec la Chine s’est également creusé en 2022. En mai, les importations allemandes en provenance de la deuxième économie mondiale ont augmenté de 35% par rapport à janvier, tandis que le volume des exportations de l’Allemagne vers la Chine a peu varié.

En revanche, l’excédent commercial de l’Allemagne sur les États-Unis a augmenté, ses exportations ayant augmenté de plus d’un cinquième entre janvier et mai. De nombreux exportateurs allemands se sont davantage concentrés sur le marché américain après que la politique sanitaire stricte de Pékin ait assombri les perspectives économiques de la Chine plus tôt cette année.

Néanmoins, les perspectives d’exportation semblent s’affaiblir à mesure que l’économie mondiale ralentit et que les craintes de récession aux États-Unis et en Europe augmentent. Une enquête auprès des fabricants allemands publiée le 1er juillet a montré que les commandes à l’exportation ont chuté en juin pour le quatrième mois consécutif.

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Certains des principaux partenaires commerciaux de l’Allemagne n’étaient pas satisfaits de son excédent commercial, y voyant un signe que le pays n’en faisait pas assez pour soutenir la demande intérieure, s’appuyant plutôt sur des acheteurs étrangers à des fins mercantilistes. Les dirigeants des autres Etats européens craignent que des déficits commerciaux persistants puissent être associés à des pertes d’emplois et à un échec des politiques keynésiennes, car les biens consommés par les ménages nationaux sont fabriqués ailleurs, en Allemagne ou en Chine.

En juin dernier, le Trésor américain a classé l’Allemagne parmi les 12 pays qui « méritent une attention particulière à leurs pratiques monétaires et à leurs politiques macroéconomiques ». Le Trésor fédéral estima que l’excédent commercial de l’Allemagne avec les États-Unis s’était creusé à 73 milliards de dollars en 2021, contre 57 milliards de dollars en 2020, contribuant à un excédent du compte courant équivalant à 7,6% du produit intérieur brut.

« En 2021, la position extérieure de l’Allemagne était plus forte que ne le justifient les fondamentaux économiques et les politiques souhaitables », a déclaré le Trésor américain dans son rapport régulier sur les principaux partenaires commerciaux.

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