Par Eurasia Business News – le 24 mars 2021

Vue sur le fleuve Moskova, traversant Moscou, capitale de la Fédération de Russie. Octobre 2017 – Crédits photo : Eurasia Business News.
Le conseil d’administration de la Banque de Russie, lors d’une réunion tenue le 19 mars, a décidé d’augmenter le taux directeur de 25 points de base – de 4,25% à 4,5%. Le communiqué officiel a été publié dans journée.
C’est le premier resserrement de la politique monétaire russe depuis décembre 2018, lorsque le taux a été relevé des mêmes 25 points à 7,75%. Cette hausse du taux directeur peut être perçue comme un signe de reprise de l’économie russe mais aussi comme une tentative de limiter l’inflation causée par la dépréciation du rouble sur l’année passée d’une part et l’accélération de la consommation des ménages après la levée des restrictions sanitaires, d’autre part.
La montée des prix des matières premières dans le monde, causée par l’espoir d’une reprise économique forte suite aux campagnes de vaccination lancées en décembre 2020, contribue aussi à expliquer cette inflation. Les matières premières occupent en effet une place significative dans les volumes des exportations de la Russie.
Suite à ce changement de cap de la Banque centrale de Russie, le cours du rouble a peu réagi, s’échangeant à 74.09 contre le dollar américain le 19 mars puis à 76.07 roubles pour un dollar américain le 23 mars 2021.
La plupart des analystes ont été pris de cours. Ils prévoyaient en effet que le taux directeur resterait inchangé, estimant que le cycle de normalisation de la politique monétaire russe pourrait débuter en avril prochain ou à l’été.
La dynamique de l’inflation en Russie plaidait également en faveur d’une pause dans le mouvement de hausse : l’inflation reste à son maximum depuis novembre 2016 (à 5,8% sur un an le 15 mars). La hausse hebdomadaire des prix a néanmoins légèrement ralentie, notamment suite à l’intervention du Gouvernement fédéral en décembre et janvier, décidant de limiter les exportations de céréales.
Conjuguées à l’effet d’une base élevée dans la seconde moitié de mars, les mesures du gouvernement fédéral d’encadrement des prix alimentaires pourraient conduire à un ralentissement du taux annuel de l’inflation dans un proche avenir.
En septembre 2020, la Banque de Russie déclarait dans un communiqué :
« Après l’achèvement de la phase de reprise active de la croissance causée par la suppression des restrictions et des mesures de soutien, le retour des économies mondiale et russe à leur potentiel ralentira. Cela aura un effet restrictif sur le taux de croissance des prix. Selon les prévisions de la Banque de Russie, dans l’environnement de politique monétaire, l’inflation annuelle sera de 7 à 4,2% en 2020, de 3,5 à 4,0% en 2021 et sera proche de 4% à l’avenir. »
Toutefois, il demeure que cette décision de hausse du taux directeur à 4.5% ne saurait être qualifiée d’inattendue. Les analystes n’étaient certes pas unanimes dans leurs anticipations de politique monétaire mais certains pouvaient émettre l’idée d’une possible augmentation des taux avant le mois d’avril, sur fond d’inflation élevée et de rumeurs de resserrement de la politique monétaire à un rythme plus rapide qu’auparavant.
Le cycle d’assouplissement de la politique monétaire russe a commencé en 2019 avec un taux relevé à 7,75% et comprenait des échelons décroissants de 25, 50 et même 100 points de base. La pause a commencé en septembre 2020, lorsque la Banque de Russie a maintenu inchangé son taux directeur à 4.25%, sur fonds de crise économique causée par la pandémie mondiale. En février 2021, la Banque centrale a confirmé sa pause dans la hausse du taux directeur, mais son vecteur a essentiellement changé – de l’attente d’un nouvel assouplissement à l’attente d’un retour progressif au taux neutre (la Banque centrale de Russie l’estime à 5 – 6%).
Le communiqué du 12 février 2021, qui marquait la fin du cycle d’assouplissement de la politique monétaire russe, était le suivant :
« Si la situation évolue conformément aux prévisions de base, la Banque de Russie déterminera le moment et le taux de retour à une politique monétaire neutre, en tenant compte de l’hétérogénéité encore élevée des tendances actuelles de l’économie et de la dynamique des prix et considérant la dynamique réelle et attendue de l’inflation par rapport à la cible, de l’évolution de l’économie sur l’horizon de prévision, ainsi que l’évaluation des risques, les conditions extérieures et la réaction des marchés financiers à leur égard. »
Le nouveau signal de la Banque centrale, malgré la hausse des taux, semble plus sévère dans le communiqué du 19 mars :
« La reprise rapide de la demande et les pressions inflationnistes accrues rendent nécessaire un retour à la neutralité monétaire. La Banque de Russie continuera à déterminer le moment et le rythme du retour à une politique monétaire neutre, en tenant compte de la dynamique réelle et attendue de l’inflation par rapport à la cible, de l’évolution de l’économie sur l’horizon de prévision, ainsi qu’en évaluant les risques liés aux conditions internes et externes et à la réaction des marchés financiers à leur égard. Dans le même temps, la Banque de Russie admet la possibilité d’une nouvelle augmentation du taux directeur lors des prochaines réunions. Compte tenu de la politique monétaire actuelle, l’inflation annuelle reviendra à l’objectif de la Banque de Russie de près de 4% au premier semestre 2022 et restera à ce niveau à l’avenir. »
Selon la pratique de la Banque centrale russe, une nouvelle augmentation du taux directeur est possible lors de l’une des trois prochaines réunions du conseil des directeurs (c’est-à-dire en avril, en juin ou en juillet). L’évolution de l’inflation sur les prochaines semaines sera déterminante. De nouvelles hausses du taux directeur en avril et en juin permettraient de générer une marge de manœuvre, alors que la relance budgétaire prévue par le Gouvernement fédérale risque de stimuler l’inflation.
Inflation à 5.8% le 15 mars
La Banque centrale a relevé que l’inflation augmente au-dessus de ses prévisions. En février, le taux de croissance annuel des prix à la consommation est passé à 5,7% (contre 5,2% en janvier) et, au 15 mars, à 5,8%. Les indicateurs reflétant les processus les plus stables de la dynamique des prix, selon les estimations de la Banque de Russie, sont nettement supérieurs à 4% en termes annuels.
L’institution explique ce phénomène en grande partie par la durabilité de la reprise de la demande intérieure en Russie. Son impact sur le taux d’augmentation des prix est accru par les restrictions sur les voyages à l’étranger, rendant disponibles des ressources financières au sein des ménages russes, ne pouvant plus voyager.
En effet, ces fonds des ménages russes non dépensés sont partiellement redistribués à la consommation de biens et de services dans l’économie russe. Une influence supplémentaire sur la hausse des prix est exercée par des facteurs du côté de l’offre, qui limitent l’augmentation de la production d’un certain nombre de biens.
Les observateurs pourront ici ajouter que la dépréciation du rouble sur l’année passée, en raison notamment de la baisse des prix du pétrole brut (avant leur remontée à partir de la fin de l’année 2020) ou des risques géopolitiques, exerce une influence sur la hausse des prix à la consommation pour les biens importés.
La Banque de Russie a également relevé dans son communiqué du 19 mars que les anticipations d’inflation par les ménages restent à des niveaux élevés par rapport à la période pré-pandémique. Les anticipations de prix des entreprises restent également à un niveau élevé. Les attentes des analystes professionnels à moyen terme sont ancrées à près de 4%, comme le relève le régulateur :
« L’équilibre des risques s’est déplacé vers des risques pro-inflationnistes. L’effet des facteurs pro-inflationnistes peut s’avérer plus long et plus prononcé dans les conditions d’une croissance supérieure à la croissance de la demande de consommation par rapport aux possibilités d’expansion de la production. En outre, leur impact peut être exacerbé par des anticipations inflationnistes accrues et des retombées connexes. »
La Banque de Russie note que la pression à la hausse supplémentaire sur les prix pourrait continuer d’être causée par des difficultés temporaires dans les chaînes de production et d’approvisionnement. Les risques pro-inflationnistes sont créés par l’environnement de prix des marchés mondiaux des matières premières, y compris sous l’influence de facteurs du côté de l’offre. Cela peut avoir un impact sur les prix intérieurs des produits respectifs.
« Les risques pro-inflationnistes à court terme sont également associés à une volatilité accrue sur les marchés mondiaux, y compris sous l’influence de divers événements géopolitiques, qui peuvent affecter le taux de change et les anticipations inflationnistes. Dans le contexte d’une reprise plus rapide que prévu de l’économie mondiale et, par conséquent, de l’épuisement de la nécessité d’une politique de stimulation sans précédent dans les économies développées, le démarrage plus précoce de la normalisation de la politique monétaire par les banques centrales de ces pays est possible. Cela pourrait devenir un facteur supplémentaire de croissance de la volatilité sur les marchés financiers mondiaux. »
La Banque de Russie a également présenté sa réflexion sur l’hypothèse d’une baisse de l’inflation :
« Les risques désinflationnistes pour le scénario de référence ont diminué (NDLR : La désinflation s’entend comme une baisse du taux d’accroissement du niveau moyen des prix ou plus simplement baisse de l’inflation). L’ouverture des frontières à mesure que les mesures restrictives sont levées pourrait rétablir la consommation de services étrangers et alléger les contraintes du côté de l’offre sur le marché du travail grâce à un afflux de main-d’œuvre étrangère. La reprise de l’activité économique pourrait être ralentie, en particulier, par la baisse des taux de vaccination et la propagation de nouvelles souches du virus, ainsi que par le durcissement des mesures restrictives qui en résulterait. La dynamique de l’inflation peut également être freinée par des changements persistants dans les préférences et le comportement de la population, y compris une augmentation possible de la propension à épargner. »
La Banque de Russie est en effet attentive à l’évolution de la situation sanitaire et de ses effets sur l’économie russe. Les investisseurs internationaux sont eux aussi prudents quant à la situation en Europe.
Le 23 mars, la chancelière allemande Angela Merkel a annoncé l’extension des mesures restrictives en Allemagne jusqu’au 18 avril. La semaine dernière, la France a imposé un confinement allégé d’une durée de quatre semaines à Paris, en Ile-de-France, dans le Nord du pays et dans le Sud-Est. Cette tension de la situation sanitaire pèse sur la remontée des prix du pétrole Brent, qui gravite autour de 60 dollars le baril. Pour autant, la diffusion actuelle des vaccins fait que l’année 2021 sera meilleure que 2020 pour l’économie.
Le communiqué officiel du 19 mars souligne ensuite que la dynamique de l’inflation à moyen terme est fortement influencée par la politique budgétaire. Dans le scénario de référence, la Banque de Russie part des paramètres du budget fédéral et des budgets des entités constitutives de la Fédération de Russie, comme indiqué dans les Principales orientations de la politique budgétaire, fiscale et douanière pour 2021 et pour la période de planification budgétaire de 2022 et 2023.
Par ailleurs, la Banque centrale russe a annoncé qu’elle prendra en compte l’impact sur les prévisions d’éventuelles décisions d’investissement de la partie liquide du Fonds souverain du Bien-être National au-delà du seuil de 7% du PIB.
Reprise de l’activité économique
Le communiqué indique ensuite que la reprise de l’activité économique est plus rapide que prévu. Selon les données de suivi, un nombre croissant d’entreprises signalent le retour de la production aux niveaux d’avant le début de la pandémie. La levée progressive des mesures restrictives favorise la reprise du commerce de détail et des services. Dans le même temps, dans un certain nombre de secteurs, les possibilités d’augmentation de la production sont à la traîne par rapport à l’expansion de la demande. La confiance des consommateurs a continué de s’améliorer en janvier-février, et les études de marché montrent que les attentes positives des entreprises en Russie résistent.
En 2021 et au-delà, la croissance de l’économie russe devrait être soutenue par de meilleures perspectives de reprise économique mondiale dans le contexte de mesures supplémentaires d’appui budgétaire dans chaque pays et d’élargissement des campagnes de vaccination, ce qui devrait favoriser la croissance de la demande de produits d’exportation russes (notamment le pétrole, le gaz, les métaux, les céréales, l’automobile, certains équipements énergétiques, de l’électroménager ou encore des produits cosmétiques). La trajectoire à moyen terme de la croissance économique sera fortement influencée par le taux de vaccination en Russie et dans le monde, l’efficacité des vaccins contre les nouvelles souches du virus, la nature de la reprise de la demande privée et la trajectoire de l’assainissement budgétaire.
Prochaine étape en avril
La prochaine réunion du conseil d’administration de la Banque de Russie, au cours de laquelle la question du niveau des taux directeurs sera examinée, est prévue le 23 avril 2021. L’évolution de l’inflation sur le marché intérieur russe d’ici là fournira des éléments pour anticiper la position de la Banque centrale.
Le mandat principal de la Banque de Russie est d’émettre des devises, de protéger le rouble et d’assurer sa stabilité. En complément de sa politique monétaire,
L’indépendance de la Banque de Russie est garantie par la loi fédérale n°86-FZ du 10 juillet de 2002 et l’article 75 de la Constitution. En 2013, la Banque de Russie a été investie des pouvoirs de réglementer, d’exercer le contrôle et de surveiller les marchés financiers.
Le rôle des taux directeurs
Les taux directeurs sont les taux d’intérêt à court terme fixés par les banques centrales d’Etats, qui les utilisent pour conduire leur politique monétaire et soutenir l’économie. En effet, la modulation du taux directeur à la hausse ou à la baisse par une banque centrale permet de contrôler la masse monétaire en circulation et réguler l’activité économique de leur pays ou de la zone économique monétaire régulée. Une baisse du principal taux directeur est censée favoriser l’attribution de crédits aux acteurs économiques et aux ménages et par conséquent stimuler l’activité économique, tandis qu’une hausse de taux directeur a pour objectif de resserrer les conditions de disponibilité des ressources monétaires (l’argent), afin de limiter la croissance de l’inflation générée par la hausse des crédits attribués. Une banque centrale prend une décision relativement à ses taux directeurs généralement tous les trimestres.
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