Par Swann B., juriste et auteur – 18 mai 2021

Vue sur le Taj-Mahal, Inde. Crédits photo : Pexels.

La puissance économique de la Chine en Asie et ses ambitions régionales ont sans doute favorisé ce rapprochement entre Bruxelles et New Delhi.

L’Union européenne et l’Inde ont convenu de reprendre leurs négociations sur un accord de libre-échange, bloquées depuis 2013, et de rechercher une coopération plus étroite pour lutter contre le changement climatique lors d’un sommet tenu le 8 mai par vidéoconférence depuis la ville portugaise de Porto, alors que les inquiétudes concernant les ambitions régionales de la Chine sont des facteurs de rapprochement entre Bruxelles et New Delhi. 

En partie éclipsée par la crise du COVID-19 en Inde, le sommet a réuni pour la première fois le Premier ministre indien Shri Narendra Modi et tous les 27 dirigeants des Etats membres de l’UE, signe du regain d’intérêt des européens pour la région indo-pacifique.

L’UE était représentée par les chefs d’État ou de gouvernement des 27 États membres de l’UE, le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

L’Inde était représentée par le Premier ministre Shri Narendra Modi, qui s’est joint aux dirigeants de l’UE par vidéoconférence.

Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a également participé à la réunion.

Les précédents sommets UE-Inde n’avaient impliqué que le Premier ministre indien et le chef de l’exécutif et président de l’Union.

Nous avons convenu de reprendre les négociations pour un accord commercial qui répondrait aux défis actuels“, ont déclaré les dirigeants européens et indiens dans un communiqué après les pourparlers, ajoutant que pour que les négociations aboutissent, les deux parties devaient résoudre les problèmes d’accès au marché.

Les négociations sur un accord de libre-échange comprenant un chapitre sur l’investissement ont commencé dès 2007 mais ont été suspendus en 2013 en raison de divergences, notamment en matière de réductions tarifaires, de protection des brevets, de sécurité des données et de droit des professionnels indiens de travailler en Europe.

L’UE et l’Inde ont confirmé suite à ce sommet du 8 mai qu’elles entameront des discussions sur un accord distinct de protection des investissements et un accord sur les indications géographiques – des marques de produits liées aux lieux où ils sont fabriquées, tel que le champagne français ou le thé Darjeeling en Inde.

Lire aussi : L’UE et la Chine concluent un accord de principe en matière d’investissements

L’importance de ces négociations repose notamment sur la part de l’Union européenne dans les flux d’investissements étrangers en Inde. Cette part a plus que doublé, passant de 8% à 18% au cours de la dernière décennie, faisant de l’UE le premier investisseur étranger en Inde, d’après les données de la Commission européenne.[1]

Ces discussions entre New Delhi et Bruxelles devraient se nourrir des propositions de réforme présentes dans le nouveau modèle indien de traité bilatéral de protection et de promotion des investissements publié en 2015. L’Inde a voulu réformer son modèle de traité après plusieurs contentieux arbitraux relatifs aux investissements étrangers à compter de 2011. (Voir notamment la sentence arbitrale CNUDCI en l’affaire White Industries Australia Limited v. The Republic of India, 30 Nov. 2011)

Equilibre face à la Chine

La montée de la puissance de la Chine, initialement un partenaire commercial modeste puis devenu une puissance économique et géopolitique affichant des ambitions régionales clivantes, a nourri les inquiétudes de l’Union européenne comme des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région de l’Indo-Pacifique. Bruxelles veut désormais y renforcer son influence. Il est vrai que la sortie du Royaume-Uni de l’UE suite au Brexit, sortie devenue officielle au 1er janvier 2021, a fait perdre à Bruxelles un Etat membre bénéficiant d’un réseau développé de relations économiques et politique dans cette zone. L’UE doit désormais consacrer de nouvelles ressources à une politique européenne dans la zone Indo-Pacifique, afin de ne pas y perdre son influence commerciale et diplomatique.  

Créer une coordination à l’OMC et au G20 

La déclaration conjointe des 27 dirigeants européens à l’issue du sommet indique que l’UE et l’Inde souhaitent renforcer leur coordination en matière de gouvernance économique mondiale, notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du G20.

Bruxelles et New Delhi se seraient convenues d’approfondir leur coopération bilatérale concernant la réforme de l’OMC avant la tenue de la conférence ministérielle de l’OMC en novembre prochain.

La question des droits de l’Homme

Lors de ce sommet tenu en vidéoconférence à Porto au Portugal, des associations et des citoyens ont exprimé leurs inquiétudes à l’égard de l’attitude du gouvernement du Premier ministre indien Shri Narendra Modi à l’égard des opposants politiques. Des groupes de la société civile, dont Amnesty International, ont ainsi organisé une veillée devant le lieu du sommet.

Les dirigeants européens, sensibles au respect des valeurs propres à l’Union, ont rappelé leur engagement quant à la protection et à la promotion des droits de l’Homme. Le prochain dialogue organisé dans ce cadre est prévu pour 2022.

Nous avons réaffirmé notre engagement ferme en faveur de tous les droits de l’homme, de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’autonomisation des femmes“, indique le communiqué.

L’UE et l’Inde ont aussi décidé de renouveler leur coopération au sein des enceintes internationales en matière de droits de l’homme, en particulier l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies.

Un partenariat sur les infrastructures

Les deux partenaires prévoient également de mener des projets communs d’infrastructure de connectivité dans le monde entier, notamment en Afrique, en Asie centrale et dans la région Indopacifique. Cette annonce dévoile l’ambition de contrebalancer l’influence de la Chine en matière d’infrastructures de réseau. 

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Ce partenariat sur les infrastructures fait suite à un traité entre l’UE et le Japon en 2019, dont l’objectif était de créer une alternative aux financements d’infrastructures étrangères par la Chine par le programme « Nouvelles Routes de la Soie » lancé en 2013, et qui suscite des inquiétudes en Occident et au Japon sur ses conséquences géopolitiques.

Dans un contexte de pénurie mondiale de semi-conducteurs, une coopération industrielle entre l’Europe et l’Inde dans ce secteur pourrait accroître leur autonomie stratégique dans les approvisionnements de puces électroniques, indispensables pour l’industrie informatique, la téléphonie, l’électro-ménager, la fabrication de machines-outils, les industries automobile et aéronautique.

La pandémie a en effet brutalement arrêté les chaînes de production début 2020 et a causé une hausse fulgurante du télétravail, accroissant la demande d’ordinateurs portables. Cette situation a réduit l’offre de puces électroniques sur le marché mondial, créant la pénurie actuelle. Les fabricants ont rétabli leur cadence de production et investissent dans l’augmentation de leurs capacités, mais plusieurs mois seront nécessaires pour résorber le manque entre l’offre et la demande.  

Le changement climatique

Bruxelles et New Delhi se sont aussi engagés à coopérer davantage pour limiter le changement climatique. Le communiqué indique que l’UE et l’Inde tiendront des réunions pour collaborer dans les domaines des énergies renouvelables, des technologies de stockage de l’énergie et de la modernisation des réseaux électriques.

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© Copyright 2021 – Swann B., juriste et auteur.


[1] Commission Européenne, Pays et Régions, Inde : https://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/countries/india/ ;