Par Pierre de Neuville, pour Eurasia Business News – 6 juillet 2021

Les dirigeants de 130 pays, dont tous les États membres du G20, à l’issue d’une réunion virtuelle tenue le 1er juillet, se sont mis d’accord sur l’introduction d’un taux d’imposition minimum mondial sur les sociétés dans le cadre d’une révision plus large des règles fiscales pour les entreprises multinationales. Les négociations ont eu lieu dans le cadre de l’OCDE, dont le siège est à Paris.

Un ensemble de 130 Etats et territoires représentant plus de 90 % du PIB mondial ont adhéré à la Déclaration qui instaure un nouveau cadre pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises. Sur les 139 membres que compte le Cadre inclusif, seul un petit groupe de pays n’a pas encore signé la Déclaration. Les éléments restants du cadre de la réforme, y compris le plan de mise en œuvre, seront finalisés en octobre 2021.

Le ministre français des Finances Bruno Le Maire a qualifié cette Déclaration de « plus important accord fiscal international depuis un siècle », devant mettre fin à la concurrence fiscale entre les Etats.

Les principes de la réforme

Cette réforme repose sur deux piliers.

Le premier pilier garantit une répartition plus équitable des bénéfices et des droits d’imposition entre Etats concernant les grandes entreprises multinationales, y compris celles du numérique. Ce pilier doit permettre de réattribuer une partie des droits d’imposition sur les entreprises multinationales de leurs pays d’origine aux pays de marché dans lesquels elles exercent des activités commerciales et réalisent des bénéfices, qu’elles y aient ou non une présence physique. Un tel régime a pour objectif de réduire les possibilités d’évasion et d’optimisation fiscales.

Le deuxième pilier entend encadrer la concurrence fiscale en matière d’impôt sur les bénéfices des sociétés en introduisant un impôt minimum mondial que les Etat peuvent prélever pour protéger leur base d’imposition.

Cette réforme de la fiscalité internationale des entreprises doit constituer un instrument précieux pour les États et leurs administrations qui doivent mobiliser et optimiser les recettes fiscales afin de rétablir leurs budgets et leurs finances publiques.

La Chine et l’Inde ont approuvé cette refonte de la fiscalité internationale des sociétés. L’administration du président américain Joe Biden a présenté cette initiative et a insisté pour que son taux soit d’au moins 15 %.

L’Irlande, la Hongrie et l’Estonie, membres de l’UE, n’ont cependant pas signé la Déclaration. Chypre, qui n’a pas participé aux négociations de l’OCDE mais est membre de l’UE, devra également être ralliée.

Les éléments restant du régime réformé seront finalisés d’ici octobre 2021 et devrait prendre effet en 2023.

La crise financière et économique de 2008 et la crise sanitaire et économique résultant de l’épidémie de coronavirus depuis janvier 2020 ont accru la nécessité de l’intervention des Etats pour rétablir le circuit économique et protéger les besoins sociaux. Le texte de la Déclaration souligne ainsi l’investissement dans les services publics essentiels, les infrastructures et les mesures requises pour que la reprise économique post-COVID soit forte et durable.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui dirige les négociations fiscales en la matière, estime que les gouvernements perdent entre 100 et 240 milliards de dollars par an en raison de l’évasion fiscale.

Après des années de travail et de négociations intenses, cet accord historique garantira que les grandes multinationales paient leur juste part d’impôts partout“, a déclaré le secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann.

La Secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a qualifié cette journée d'”historique pour la diplomatie économique“.

L’accord d’aujourd’hui entre 130 pays, qui représentent plus de 90 % du PIB mondial, est un signe clair que le nivellement par le bas (concurrence entre les pays pour l’investissement grâce à l’assouplissement fiscal) approche de sa fin“, a déclaré l’ancienne Présidente du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine.

Réformer les lois nationales

Désormais, les différents gouvernements devront adopter des lois nationales pour mettre en œuvre cette réforme de la fiscalité internationale. Le chemin de la ratification et de la transposition dans les droits nationaux pourrait toutefois prendre du temps. En effet, s’agissant des seuls Etats-Unis d’Amérique, première puissance économique mondiale, le Président Joe Biden n’a que peu de pouvoir sur le Congrès, qui seul peut ratifier l’accord international.

S’agissant de l’Union européenne, première puissance commerciale mondiale, le meilleur moyen de mettre en œuvre cette réforme serait l’adoption d’un accord unique entre Etats membres. Toutefois, la fiscalité directe relève de la compétence propre des Etats membres. Seule la fiscalité indirecte comme la TVA relève de la compétence juridique de l’Union européenne. En tout état de cause, la fenêtre d’opportunité semble être le prochain  mandat de six mois de la présidence française au premier semestre 2022.

Le soutien du G20 ?

Réunis à Londres, les membres du G7 se sont mis d’accord le 5 juin dernier sur un taux d’imposition minimum des sociétés d’au moins 15 %.

Lire aussi : G7 countries believe that corporate tax should be at least 15%

Un accord plus large dans le cadre du G20 réunissant les vingt plus  grandes économies du monde devrait avoir lieu à Venise les 9 et 10 juillet.

L’influence des Etats-Unis

Il est intéressant de relever que les accords internationaux en matière de fiscalité sont étroitement liés à l’agenda fiscal national américain. En effet, l’administration du président Joe Biden a demandé depuis mars 2021 une augmentation du taux d’imposition forfaitaire des sociétés à 28% contre 21% actuellement, ainsi qu’une augmentation de l’impôt minimum sur les revenus étrangers des sociétés américaines à 21% de 10,5%. L’impulsion politique donnée à Washington a entraîné une dynamique au niveau international permettant d’aboutir à cet accord.

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Cette réforme signe le retour de la souveraineté fiscale des Etats, alors que des entreprises multinationales ont su depuis les années 1980 utiliser les différentes législations nationales pour pratique de l’optimisation fiscale. Cette optimisation a entraîné une érosion progressive de la base d’imposition des Etats, qui ont cherché à y remédier. La Convention BEPS de 2016 adoptée dans le cadre l’OCDE fut une première étape.

Néanmoins, si le travail commun sur un taux minimum est une première étape, il s’avère aussi nécessaire d’harmoniser entre Etats les règles de détermination de la base imposable à cet impôt sur les sociétés. Certains Etats offrent en effet des conditions de déduction de charges ou de crédit d’impôt que d’autres ne prévoient pas. Une même société multinationale pourra ainsi avoir une base d’imposition différente d’un Etat à l’autre, pour la même activité économique exercée.

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