Par Anthony Marcus, pour Eurasia Business News, le 19 juillet 2022

Le président iranien Ebrahim Raïssi (à gauche), le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan se rencontrent le 19 juillet à Téhéran, dans le cadre du processus d’Astana, lancé en 2017.
Le président russe Vladimir Poutine est arrivé ce mardi à Téhéran, où il participera à un sommet du « processus d’Astana » et s’entretiendra séparément avec ses homologues turcs et iraniens. Cette réunion est l’occasion pour Moscou d’envoyer plusieurs signaux importants aux puissances du Moyen-Orient.
La dernière visite du chef du Kremlin en Iran remonte à l’automne 2018.
Comme l’a déclaré aux journalistes Yuri Ushakov, assistant du président russe, au cours de cette visite, Vladimir Poutine doit s’entretenir avec les dirigeants du pays – le guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei et le président Ebrahim Raïssi, en poste depuis août 2021.
Vladimir Poutine a déjà brièvement communiqué avec Ebrahim Raïssi en marge du sommet des Cinq puissances de la Caspienne à Achgabat (Turkménistan) fin juin. Cette fois les deux dirigeants tiendront une réunion plus longue, au cours de laquelle, selon le Kremlin, le sujet du programme nucléaire iranien, la coopération économique bilatérale et la préparation d’un nouvel accord stratégique entre Moscou et Téhéran seront discutés.
« En marge » de la réunion du « processus Astana », cercle de puissances garantes de la résolution du conflit armé en Syrie, le président Vladimir Poutine doit également s’entretenir avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Les deux chefs d’Etat discuteront de la situation en Ukraine, y compris du mécanisme d’exportation de céréales ukrainiennes, qui est en cours d’élaboration avec la participation de représentants de la Fédération de Russie, de l’Ukraine, de la Turquie et de l’ONU. En outre, le président russe et son homologue turc devraient discuter de projets économiques bilatéraux.
Lors du sommet organisé à Téhéran ce 19 juillet, les présidents de la Russie, de la Turquie et de l’Iran discuteront des prochaines étapes pour un règlement final du conflit en Syrie. Les plans d’Ankara pour mener une nouvelle opération contre les groupes armés kurdes dans le nord de la Syrie devraient également être abordés.
Le président russe Vladimir Poutine fera passer quelques messages. Le premier, que la Russie ne compte pas réduire son soutien à son allié syrien. La Syrie est une composante essentielle de la politique étrangère russe. Le 29 juin dernier, Damas annonça même sa décision de reconnaître l’indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, les régions russophones et séparatistes d’Ukraine orientale.
Le deuxième message à envoyer, est le maintien de l’intensité du dialogue entre Moscou et Ankara. En effet, avec la Turquie, la Russie a besoin de discuter de la situation du conflit en Ukraine, de la question de l’exportation des céréales par la mer Noire, des sanctions occidentales, de l’Arménie et du Haut-Karabakh mais aussi de la Syrie et des opérations militaires turques contre les rebelles kurdes de Syrie. La Turquie, Etat membre de l’OTAN, se distingue dans sa politique envers la Russie. Le 26 juin dernier, Ibrahim Kalin, représentant officiel du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, déclara à la presse qu’Ankara refuse de rejoindre les pays qui imposent des sanctions en réponse à l’opération militaire de la Russie contre l’Ukraine.« Nous n’imposons pas de sanctions contre la Russie suite à la guerre en Ukraine. Bien sûr, nous devons protéger les intérêts de notre pays. Nos relations économiques sont d’une telle nature que l’imposition de sanctions causera plus de tort à l’économie turque qu’à la Russie. […]” L’officiel turc ajouta alors qu’Ankara mène une politique d’équilibre avec Moscou : “Nous avons une relation énergétique avec la Russie. Comme nous dépendons de sources d’énergie étrangères, nous développons nos relations avec la Russie de la même manière qu’avec l’Iran.”
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Le troisième message que Vladimir Poutine veut envoyer est la volonté de Moscou de renforcer la relation avec Téhéran, dont l’importance stratégique s’est accrue depuis le début du conflit en Ukraine le 24 février et la politique d’isolement menée par l’Occident. La Russie veut renforcer et s’appuyer sur le réseau géopolitique Russie-Chine-Iran-Syrie, auquel elle serait tentée d’atteler l’Inde. L’instrument des BRICS doit servir cette politique étrangère visant à bâtir un ordre international alternatif à celui des Etats-Unis et de ses alliés occidentaux. Le président russe et son homologue iranien discuteront des problèmes liés au Plan d’action global conjoint sur le programme nucléaire iranien (JCPOA). L’Union européenne et les Etats-Unis veulent conclure un nouvel accord. Le 24 juin dernier, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, se rendit à Téhéran pour plaider ce dossier. Les dirigeants iraniens, habiles négociateurs, ont annoncé en juin leur souhait d’adhérer au groupe des BRICS. Déjà en septembre 2021, les membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) avaient approuvé le lancement de la procédure d’entrée de l’Iran dans l’organisation. Moscou et Téhéran veulent clairement montrer en ce 19 juillet 2022 qu’une nouvelle réalité géopolitique se met en place et que l’Occident a maintenant moins de pouvoir et d’influence qu’il y a dix ans. Cela constitue un vrai défi pour les Etats-Unis et l’Union européenne, qui devront adapter leurs politiques étrangères, leurs doctrines et le choix de leurs instruments, afin de ne pas être dépassés sur l’échiquier international.
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Cette réunion trilatérale dans le cadre du “processus d’Astana” devrait se terminer par l’adoption d’une déclaration commune des dirigeants, ainsi que par leurs discours devant la presse.
La réunion des présidents de la Russie, de l’Iran et de la Turquie devait se tenir en République islamique en 2020, mais l’événement fut reporté à plusieurs reprises en raison de la pandémie de coronavirus. La question de la possibilité de réduire le format à la vidéoconférence s’est posée à plusieurs reprises. Cependant, comme l’a rappelé l’ambassadeur de Russie à Téhéran, Levan Dzhagaryan, dans un entretien accordé à l’agence de presse russe à TASS, « rien ne peut remplacer des réunions personnelles, qui sont plus efficaces et renforcent la confiance ».
Les initiateurs du “processus d’Astana”, forum trilatéral pour un règlement politique en Syrie sont la Russie, l’Iran et la Turquie. Ces trois puissances agissent depuis plusieurs années pour s’imposer comme les garants d’un règlement pacifique du conflit syrien, face à l’échec des Etats occidentaux. Des représentants officiels de Damas et des délégations de l’opposition syrienne participent aux négociations, débutées les 23 et 24 janvier 2017 dans la capitale du Kazakhstan, Astana. Malgré le changement de nom d’Astana en Nur-Sultan en 2019, le nom de ce format de négociation est resté le même. Au total, sept délégations prirent part en 2017 aux pourparlers : la Russie, la Turquie, l’Iran, les États-Unis et les Nations Unies, ainsi que les deux parties au conflit – des représentants du gouvernement syrien officiel et des émissaires de groupes armés rebelles.
Les discussions ont abouti à l’accord d’Astana, traité signé le 4 mai 2017 par la Russie, l’Iran et la Turquie et portant sur la création de quatre zones de cessez-le-feu dans le pays. Les trois puissances furent désignées comme garants de la trêve en Syrie. Le traité prévoit aussi la mise en œuvre d’un mécanisme tripartite de surveillance du cessez-le-feu. Sept autres cycles de pourparlers eurent lieu entre février et décembre 2017. Trois autres sessions eurent lieu entre mai et novembre 2018. Les discussions se prolongèrent en 2019, avant d’être suspendues en 2020 en raison de la pandémie de coronavirus. Le cycle de rencontres fut rétabli en février 2021 à Sotchi, où des consultations multilatérales et bilatérales du Gouvernement de Damas et de l’opposition syrienne eurent lieu avec la participation des Etats garants du processus d’Astana – la Russie, l’Iran et la Turquie, ainsi que de l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la Syrie.
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Lors du 17e cycle de pourparlers, tenus les 21 et 22 décembre 2021 à Nur-Sultan, capitale du Kazakhstan, l’Iran, la Russie et la Turquie réaffirmèrent leur engagement en faveur de la souveraineté, de l’indépendance, de l’unité et de l’intégrité territoriale de la Syrie, ainsi que des buts et principes de la Charte des Nations Unies, et soulignèrent que ces principes sont soumis à l’observation et au respect universels. Les trois puissances garantes exprimèrent également leur détermination à poursuivre leur coopération afin de lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations et de contrer les plans séparatistes “visant à saper la souveraineté et l’intégrité territoriale” de la Syrie et à menacer la sécurité nationale des Etats voisins.
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